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samedi 30 août 2014

Moment d'évasion depuis Bukavu...

Vue du lac Kivu depuis les jardins d'Orchids Hotel, Bukavu.






















Le temps est très agréable ce soir à Bukavu
Depuis ma terrasse perdue au milieu de magnifiques jardins,
J'admire ce lac majestueux, tandis qu'à l'horizon,
Les derniers rayons de soleil s'éteignent doucement.

Bientôt l'ombre virevoltante des collines se confondra au ciel
Et les cris évocateurs des pécheurs
Dévoreront le chant monotone des rossignols.

Bientôt un ciel parsemé d'étoiles
Prolongera le calme et la sérénité
Jusqu'à l'aube d'un autre jour et d'autres merveilles.
Kivu, mon Kivu, ainsi les dieux te façonnèrent : paisible et splendide.

Ainsi tu défies tes profanateurs d'ici et d'ailleurs,
Et tu offres à ceux dont la chair se nourrit à ton sein
De tels moments d'évasion dans ton brillant avenir !

J.-M.

jeudi 9 janvier 2014

RD Congo: Qui a tué le Colonel Mamadou Ndala ?

Je vous propose ici, en intégralité, l'article de Christophe Rigaud, paru sur son blog afrikarabia.com sous le titre original "Mamadou Ndala : l'armée au coeur des soupçons"

Les premiers suspects arrêtés dans l’assassinat du colonel Mamadou Ndala sont tous des militaires de l’armée congolaise (FARDC). Un suspect, le général Moundos, un temps arrêté, s’évade avant d’être de nouveau placé en résidence surveillée à Beni.

Qui a tué Mamadou Ndala ? Une semaine après l’assassinat du célèbre colonel de l’armée congolaise dans une embuscade au Nord-Kivu, de multiples interrogations demeurent sur les conditions et les commanditaires de l’attentat. La mort de Ndala, devenu entre temps « héros national« , a profondément choqué les Congolais. Ce colonel de l’armée régulière était considéré comme le principal artisan de la victoire des FARDC sur les rebelles du M23 en novembre 2013.

« L’ancienne tenue des FARDC »

Quelques heures après l’annonce de la mort de Ndala, Kinshasa délivrait une première version. L’embuscade aurait été tendue par des rebelles ougandais (ADF-Nalu), présents dans la région et très actifs depuis la défaite du M23. Mais très vite, la piste ougandaise prend l’eau. Un garde du corps rescapé du colonel Ndala, le caporal Paul Safari, est  très affirmatif : « J’ai vu deux des assaillants, et ils portaient l’ancienne tenue verte des FARDC. Je ne crois pas que ce soit les ADF-Nalu« . Il faut dire également que les rebelles ougandais ne stationnaient pas directement sur le zone de l’attentat, mais plus loin, à une dizaine de kilomètres. Le mode opératoire ensuite, ressemble peu aux pratiques de ce groupe armé. La piste ADF-Nalu paraît donc peu crédible.

« Aucun indice d’explosion »

Une deuxième zone d’ombre plane ensuite sur la version de l’embuscade délivrée par les autorités. Le véhicule du colonel Ndala aurait été touché par une roquette antichar. Au vue des images de l’attentat, cette théorie apparaît également bancale. Jean-Marie Ndambi, un expert en explosifs, consulté par le spécialiste de l’armée congolaise, Jean-Jacques Wondo, explique qu’un obus de roquette « contient une charge explosive qui s’enclenche au contact de sa cible. Dans le cas présent, on ne voit aucun indice d’explosion. Rien ne montre que ce véhicule a été touché par un obus d’une roquette antichar. Il a pris feu comme un véhicule incendié« . Apparaît alors une autre hypothèse sur la mort du colonel Ndala : l’assassinat à bout portant par un militaire de l’armée congolaise. Les images du corps carbonisé de Mamadou Ndala,  à côté de son véhicule, fait dire à Jean-Jacques Wondo que « le véhicule a été aspergé de matières inflammables, afin de masquer, les traces des balles sur le corps ».

Kabila ou M23 ?

La question est maintenant de savoir qui se cache derrière l’assassinat de Ndala ? A Goma, où la personnalité de Ndala a été élevée au rang de « sauveur de la RDC« ,  les regards se tournent vers Joseph Kabila. Le président congolais aurait été « gêné » par la popularité du colonel, présenté comme le vainqueur de la guerre contre le M23. Il faut dire que  Joseph Kabila a brillé par son absence sur le terrain pendant toute la guerre au Kivu. Lors de sa venue à Goma, le « héros«   acclamé par la population s’appelait Mamadou Ndala et non Joseph Kabila. Une autre piste évoque les rebelles du M23  qui auraient pu se venger de leur défaite face aux FARDC. Une thèse peu plausible dans l’état actuel de recomposition de la rébellion, très divisée. D’autant plus que pour le M23, la victoire des FARDC est plutôt à attribuer au soutien logistique de l’ONU sur le terrain.

La piste "Moundos"

Reste une dernière théorie. L’assassinat de Mamadou Ndal serait l’oeuvre d’un  règlement de compte à l’intérieur de l’armée congolaise. Une piste accréditée par les premières arrestations toutes effectuées au sein des FARDC. Les enquêteurs ont d’abord mis la main sur le colonel Tito Bizuru Ogabo et sur un garde du corps de Ndala. Mais il y a une piste plus sérieuse qui se dessine autour d’un militaire : le général Moundos, de la garde républicaine. Un temps interpellé, il se serait échappé avant d’être rattrapé et placé en résidence surveillée au camp militaire Mangango de Beni. Moundos était dans la région à la tête d’un bataillon envoyé par Joseph Kabila pour prêter main forte au colonel Mamadou Ndala au Nord-Kivu. Une « rivalité » entre les deux hommes est évoquée par plusieurs sources. D’autres pensent que Moundos aurait pu être « la main » du président congolais dans cette affaire.

L’autre affaire Moundos

Moundos apparaît également dans une autre affaire trouble, plus ancienne. Il s’agit du meurtre de l’homme d’affaire tutsi, Albert Prigogine, en 2008. Moundos est cité par l’avocat de la famille, comme le possible « organisateur » de l’assassinat de Prigogine. Le colonel Moundos (il n’était pas encore général), était alors le beau-frère de Musanganya, « un homme d’affaires connu de la place, avec lequel la victime était en conflit depuis plusieurs années ». Dans l’affaire Mamadou Ndala, l’arrestation de Moundos et surtout son évasion ne plaide pas beaucoup en sa faveur. La piste Moundos est sans doute la plus sérieuse à ce jour.

Pas de résurrection pour les FARDC

En dehors des suspects potentiels, l’assassinat de Mamadou Ndala constitue avant tout le révélateur de l’état de l’armée congolaise. Pour Thierry Vircoulon, responsable de l’Afrique centrale pour International Crisis Group (ICG), « l’embuscade dans laquelle est tombée Ndala remet en cause l’image des unités qui ont combattu le M23. Sur la vidéo de l’attaque, l’attitude des soldats congolais n’est pas très professionnelle. Si on ajoute à cela les soupçons d’une responsabilité interne à l’armée, nous sommes donc encore loin de la résurrection des FARDC comme on veut bien nous le dire. Les problèmes de l’armée restent entiers ».
Entre le coup de force raté du 30 décembre, le regain de violence au Katanga et au Nord-Kivu et enfin l’assassinat du colonel Mamadou Ndala, l »année 2014 commence au plus mal pour le président Joseph Kabila. Après l’éphémère victoire de l’armée sur le M23, la RDC doit de  nouveau affronter une nouvelle zone de turbulence et attend toujours la formation d’un nouveau gouvernement.

Christophe RIGAUD – Afrikarabia

mardi 3 décembre 2013

Première tournée de Joseph Kabila dans l'Est de la RDC depuis la défaite du M23: traduction, résumé et commentaire de son allocution à l'étape de Goma

Allocution de JOSEPH KABILA à Goma. Résumé et traduction.

Par Jean-Mobert N.Senga

Le président Joseph Kabila (au second plan) à l'un des endroits où son convoi s'était embourbé, sur la route nationale n°4 (Kisangani-Bunia) le 22 novembre 2013.

1.       Contexte
Dimanche 1er décembre 2013 - Devant plus ou moins 1500 invités (autorités locales, représentants de communautés ethniques,…sauf quasiment tous les membres des coordinations de la société civile du Nord-Kivu) réunis dans la salle de l’hôtel New Riviera (appartenant à son ministre du travail, Bahati Lukwebo), le président Joseph Kabila s’est exprimé en Swahili pendant près d’une heure. Les quelque 3 mille autres invités qui n’ont pas pu trouver une place ont dû retourner chez eux, après avoir attendu sur des files indiennes, pendant plus de deux heures, à l’extérieur de l’hôtel.

2.       Résumé de l’allocution  
L’allocution de Joseph Kabila peut se résumer en ces quelques phrases :
-          Un président sur la défensive :
Joseph Kabila a affirmé que la guerre qui a éclaté en 2012 l’a surpris, au moment où il pensait que le temps d’entreprendre des actions de développement était arrivé, après une longue période de rébellions). Il a reconnu n’avoir pas réalisé ses promesses électorales (au passage il a fait allusion aux messages des jeunes de la LUCHA qui, lors de son arrivée à Goma, tenaient des pancartes lui rappelant ses promesses non tenues : eau, routes, électricité). Mais à sa défense, il a estimé que la première de ses promesses était la paix ; que la paix était enfin là ; et qu’il allait pouvoir dorénavant se mettre à en réaliser les autres. Il a indiqué que l’effort de guerre avait nécessité la suspension de tous les projets de développements, non seulement au Nord-Kivu, mais partout dans le pays. Enfin, il a expliqué qu’il lui a fallu plus d’une année et demie pour lancer une offensive contre le M23 parce que « la guerre n’est pas un jeu » et qu’il lui fallait : préparer l’armée (la moderniser), changer le commandement des FARDC, mener les fronts politique et diplomatique (pour, a-t-il dit, faire éclater la vérité sur les raisons de ces guerres répétitives aux yeux du monde, et construire la cohésion nationale), et « trouver une stratégie militaire » efficace pour vaincre ladite guerre.
-          Avertissement envers les voisins de la RDC (spécialement le Rwanda et l’Ouganda, sans les nommer) :
« Le Congo a respecte tous ses voisins », a lancé Joseph Kabila. Avant d’ajouter : « J’ai dit que les pays voisins doivent aussi commencer à respecter le Congo et son peuple… Nous n’avons pas l’intention déstabiliser un seul pays voisin ; nous n’avons aucune raison de le faire. Mais nous ne voulons pas que quelque pays voisin que ce soit continue ou s’imagine pouvoir continuer de déstabiliser le Congo. Je sais que vos voisins ici tout près vont réagir. Quand ils réagiront, vous me direz ». Il a affirmé que toutes les guerres qui se mènent au Congo n’ont pas pour but que le pillage des ressources naturelles, mais « visent la balkanisation du Congo ». A ce sujet, il a même dit faire une révélation au sujet d’une délégation occidentale qu’il aurait reçue à Kinshasa en 2002, et qui lui aurait proposé à l’époque une « gestion séparée » des trois parties jadis occupées respectivement par son gouvernement, le RCD et le MLC. « Je leur ai dit : vous pouvez prendre votre proposition et la jeter dans les toilettes », a-t-il scandé, dans un torrent d’applaudissements.

-          Annonce de quelques mesures : 
Joseph Kabila a en outre annoncé qu’avant la fin de l’année en cours, il va changer plusieurs « responsables sur l’ensemble du Nord-Kivu…et dans les autres provinces de l’Est », comme une réponse aux allégations de tracasserie et de corruption dont la population lui a fait part. « Il y en a qui, à force de rester trop longtemps, ont transformé leurs entités en de petites républiques », a-t-il dénoncé en substance. Enfin, il a promis que « la modernisation de l’armée » allait se poursuivre, et que les élections locales et provinciales allaient se avoir lieu « bientôt », exhortant « tout le monde » à se préparer déjà.

-          Reconnaissance envers la population de Goma et du Nord-Kivu
A la fin de son allocution, Joseph Kabila a remercié et félicité la population de Goma et du Nord-Kivu pour avoir « résisté et refusé de se soumettre au joug des autres ». « Bien qu’étant loin à Kinshasa – vous pouvez me croire ou ne pas me croire – mon esprit était à Goma », a-t-il dit. Et d’ajouter : « votre résistance et votre courage nous ont permis de vaincre cette guerre ».

3.       Bref commentaire   
-          C’est un Joseph Kabila étonnamment détendu qui s’est adressé à l’audience du New Riviera, malgré dix jours de voyage sur un millier de kilomètres d’une route en très mauvais état et traversant des milieux à haut risque sécuritaire, de multiples réunions, ... A Goma, il a fait quelque trois kilomètres de marche à pieds.
-          Joseph Kabila a littéralement évité des meetings populaires et les points de presse. A l’exception notable de Rutshuru, où il s’est adressé à la population au stade Mwami Ndeze, il a préféré des réunions en salles closes avec « des représentants de toutes les couches de la population » invités par les soins des autorités locales (le gouverneur et les maires en l’occurrence). Etait-ce faute de temps ou par crainte de s’offrir en proie à des masses dont il n’est pas certain d’avoir reconquis l’âme ? Difficile de savoir. Le fait est qu’à Goma, son arrivée n’a pas suscité beaucoup d’engouement de la part des habitants, à part les quelques centaines de gens mobilisés par les états-majors des partis de la majorité présidentielle (ou « proches ») et d’autres curieux.
-          Le convoi parti de Kisangani, composé d’une centaine de véhicules et de pas moins de 200 personnes (dont les militaires de la garde présidentielle), était aussi impressionnant que coûteux. Ajouté les délégations officielles qui attendaient à Goma. Il aurait certainement été possible de faire cette tournée nécessaire avec plus de parcimonie.
-          Le gouvernement qui a tenu un conseil extraordinaire expédie les affaires courantes. Cela aurait eu plus de sens, à mon avis, si Joseph Kabila s’était déplacé avec le nouveau gouvernement attendu.
-          Aucune grande mesure n’a été annoncée de façon concrète, que ce soit par le président de la République dans ses allocutions que par le Conseil des ministres : les questions essentielles éludées, pas d’échéances, …

4.       Principaux extraits

« La guerre qui a éclaté début 2012 a été une grande surprise pour moi. Parce qu’après tout ce que nous avons accompli depuis 2003, nous pensions que la guerre était terminée, et que nous allions nous focaliser sur le développement, mais une nouvelle guerre a éclaté... »
« La population se demandait pourquoi cette nouvelle guerre, et pourquoi cela prenait beaucoup de temps pour y mettre fin. Le Kivu, c’est une région où règne beaucoup de rumeur, de mensonges et d’intoxication, ce qui produit une situation explosive. Je veux vous dire pourquoi il nous a fallu deux ans pour terminer cette guerre et ce que nous faisons pour qu’elle ne recommence pas… Cela ne dépend pas de nous. Si tout dépendait de nous, nous ne voudrions pas que la guerre survienne un seul jour. Mais nous vivons avec des voisins dont l’intention est peut-être de voir le Congo demeurer dans la guerre, et pour qui le Nord et le Sud-Kivu sont les portes d’entrée dans notre pays. Nous avons mis beaucoup de temps à terminer cette guerre parce que nous nous sommes dits : « cette fois, il faut que nous la menions vaillamment ».  
« J’ai dit nous allions mener la guerre sur trois fronts.
Le front diplomatique : les gens disaient qu’il y a la guerre au Congo à cause du tribalisme, parce qu’une certaine communauté serait victime d’exclusion, ou encore parce qu’il y aurait des problèmes de nationalité. Dans la guerre diplomatique, nous voulions que le monde entier sache la vérité sur qui fait cette guerre, pourquoi il la fait, qui le soutient, … Nous l’avons fait et je pense qu’aujourd’hui la voix du Congo a commencé à être entendue.
Le deuxième front c’est le front politique, que j’appelle le front de la cohésion interne, parce que nous voulions que la guerre qui se menait au Nord-Kivu ne soit pas seulement celle des enfants de Goma, de Rutshuru, mais celle du Congo tout entier, et pour que cela soit possible, il était nécessaire de mettre tous les Congolais ensemble, les amener à regarder dans la même direction et à avoir une même vision. C’était un front important et très difficile, parce que le Congo a de nombreux partis politiques, opposition comme majorité. Certains nous ont accepté de nous soutenir, d’autres ont choisi de ne pas nous soutenir. Mais nous ne nous soucions pas de savoir qui nous a soutenus ou pas. Nous regardons l’objectif que nous voulons atteindre, qui est de galvaniser l’ensemble de la population congolaise en vue de combattre pour la paix au Congo et dans la province du Nord-Kivu.
Je suis heureux de vous dire aujourd’hui que ce front [politique] nous a permis d’amener toute l’opinion nationale ou presque à se ranger derrière nos FARDC, derrière l’objectif que nous poursuivons : ramener la paix, le développement au Nord-Kivu. La deuxième raison qui nous a poussé à mener ce front politique, c’est que lorsque le M23 a été créé par les gens X, des députés – pas tous, mais certains – des députés ont rejoint le M23… Je me suis dit que si un député élu par le peuple peut se réveiller un matin et décider que sa place n’est plus à l’assemblée nationale mais à côté du M23 à Runyoni ou je ne sais où, c’est qu’il y a un problème très sérieux de vision, de patriotisme. C’est cela qui nous a poussé à galvaniser l’opinion…et c’est un grand travail qui nous a pris beaucoup de temps.
Le troisième front, qui était le plus important, c’est le front militaire : je sais que la population de Goma ou de tout le Nord-Kivu était très en leste, mais la guerre n’est pas une blague. Tu ne peux pas juste te réveiller un matin et te dire « je vais faire la guerre ». La guerre se planifie. Et moi je n’ai pas voulu que nous puissions tomber dans les mêmes erreurs que nous avons commises en 2009… J’ai dit « nous allons faire la guerre, mais nous la ferons de manière professionnelle ».  Ca signifie qu’il nous a fallu faire des changements au niveau du commandement de notre armée ; il nous a fallu nous procurer l’équipement militaire ; et il nous a fallu trouver une stratégie militaire pour mener cette guerre…
C’est là qu’il y a souvent une contradiction entre vous, population du Nord-Kivu, et moi-même… La contradiction que nous avons c’est laquelle ? Vous vous imaginez que s’il y a une telle stratégie militaire quelconque, je viendrai vous trouver et vous dire voilà demain nous attaquerons telle personne ! La guerre ne se fait pas comme cela. C’est de cette façon que la guerre se conduisait par le passé, et c’est ce qui nous conduisait aux échecs que nous avons connus. Nous avons mis un temps long, une année et demi, pour pouvoir préparer notre armée – et nous continuons de la préparer.
Parce que, bien que je vous ai dit tout à l’heure que la guerre est finie, ce n’est qu’une étape. Lorsqu’une guerre se termine dans la région des Grands-Lacs, tu commences à te préparer à la guerre suivante parce qu’elle viendra nécessairement. Elle viendra. Quelqu’un dit : « au nom de Jésus !» Ne nous y trompons pas, car il est dit aide-toi et le Ciel t’aidera. Notre façon de nous aider nous-mêmes, c’est continuer à nous préparer nuit et jour. Et c’est pour cela que je demande à la population du Nord-Kivu d’être très vigilante, pour que nous ne soyons pas surpris par une autre guerre. Et je veux que lorsque cette autre guerre va commencer nous soyons prêts, nous soyons debout ; que nous ayons la capacité d’y résister et de la vaincre.
« La guerre nous a pris beaucoup de temps, qu’est-ce qui suit ?
Hier quand je passais j’ai vu des gens qui me rappelaient que j’avais fait des promesses : des routes, tu as dit l’eau, tu as dit l’électricité… Au fond de mon cœur j’ai dit ils oublient la plus grande promesse que j’ai faite au Nord-Kivu. La plus grande et la première promesse que j’ai faite au Nord-Kivu c’était la paix. Et j’ai dit, fin 2011, avant que la paix n’éclate en 2012, que sans la paix nous ne réussirons pas à faire toute autre chose. Et c’est l’exemple que j’ai donné à la population de Butembo comme le gouverneur vient de le rappeler : si une personne a cinq mille francs ; qu’elle se sent malade, et qu’elle sent qu’elle en même temps besoin de chaussures ; elle a le choix entre se procurer les chaussures ou utiliser cet argent pour se procurer le médicament et se soigner. C’est ce dernier choix que moi j’ai fait. C’est-à-dire, nous avons la guerre – ce sont ces maux de tête – ; nous avons des routes à construire, de l’eau à amener – ce sont ces pieds sans chaussure – et nous avons l’argent pour acheter soit un char de combat, soit une niveleuse pour faire les routes à Goma.
J’ai dit à la population de Butembo que jusque là moi je ne regrette rien du choix que j’ai fait, et j’assume. J’assume ce choix qui était de nous procurer l’équipement, de faire la modernisation de l’armée pour que nous puissions vaincre la guerre, ce qui devait nous permettre par la suite de réaliser toutes les promesses que nous avons faites. Moi je tiens toujours mes promesses. Aujourd’hui, prenez bien note, c’est le 1er décembre, et je répète mes promesses : en 2003 j’avais promis la réunification et nous l’avons réalisée, en dépit de toutes les complications....
Je voudrais vous dire, population de Goma, que la réunification n’était pas un jeu. Parce que toute guerre qui se mène au Congo, son objectif n’est pas simplement le pillage et partir ; l’objectif de la guerre c’est toujours la balkanisation de ce pays… En 2003 ou 2002, je recevais une délégation à Kinshasa. Dix ans ont passé, et lorsque tu as gardé un secret pendant dix ans tu es permis de le livrer. Alors – et je l’ai déjà dit à des gens de la société civile qui étaient venus me voir – en 2002, je reçois une délégation venue de l’Europe. Ils arrivent à Kinshasa et ils me disent « Président, tu vois, le gouvernement contrôle la plus grande partie du pays pour le moment ; le pays est divisé en trois parties avec le RCD à l’Est, le MLC au nord ; nous nous venons avec notre proposition que voici, et nous avons déjà pris langue avec les autres qui sont à Goma et à Gbadolité : pourquoi n’accepterais-tu pas qu’il soit établi une gestion séparée de ces parties sur une période de cinq ans, et par la suite vous pouvez vous asseoir et voir comment vous allez faire…» Je leur ai dit : vous pouvez jeter votre proposition dans les toilettes. Alors, l’objectif de la guerre dans le pays, il faut le savoir, ce toujours la balkanisation. Mais aujourd’hui toute la population congolaise s’est levée, et c’est depuis longtemps, et elle refuse la balkanisation de son pays.
La troisième chose, comme je l’ai dit à la population de Rutshuru, après la guerre, nous ne devons pas nous enivrer de victoire. S’enivrer de victoire c’est s’imaginer que la guerre est finie, qu’on est les premiers, … J’ai dit abandonnons l’exclusion ; abandonnons le tribalisme s’il existe. Tous ceux qui sont dans les groupes armés : Mayi-Mayi tel, Mayi-Mayi La Fontaine, Mayi-Mayi Cheka…disons-leur que ce jeu est terminé. Je veux que tous les leaders d’opinions, tous les notables, les députés au niveau national et provincial, fassent de la démobilisation de tous les miliciens leur affaire. Parce que notre population veut la paix, et eux ne peuvent pas triompher de l’Etat… Nous avons pris la décision, cette fois-ci, s’ils ne veulent pas déposer les armes, nous allons les poursuivre partout et nous allons les désarmer […]. Les autres groupes : FDLR, ADF/NALU, à eux le message c’est le même : quitter la forêt, déposer les armes, nous les remettons à la MONUSCO et elle les ramène chez eux. Dans le cas contraire, nous allons les traquer et en finir avec eux.
Voilà le message que je donne à la population. A Rutshuru, j’ai aussi adressé un message à nos voisins. Et c’est vous qui êtes avec eux tous les jours, vous allez leur faire parvenir ce message : j’ai dit que le Congo respecte tous les pays qui l’entourent. Le Congo n’a jamais entrepris de faire une agression dans un autre pays. Parce que nous n’avons ni l’intention, ni le motif, ni l’envie de le faire. Nous voulons vivre dans la paix, et nous avons tout ce dont nous avons besoin chez nous. J’ai dit : nous voulons qu’eux aussi aient ce même respect pour le Congo et son peuple. Parce que la tendance depuis dix ans maintenant c’est un jeu consistant à fabriquer des rébellions. Nous n’avons pas l’intention déstabiliser un seul pays voisin ; nous n’avons aucune raison de le faire. Mais nous ne voulons pas que quelque pays voisin que ce soit continue ou s’imagine pouvoir continuer de déstabiliser le Congo. Je sais que vos voisins ici tout près vont réagir. Quand ils réagiront, vous me transmettrez leur réaction...
« La cinquième chose, ce sont les problèmes qui sont dans la province. La guerre était une bataille, l’autre bataille c’est celle de la lutte contre la pauvreté et le sous-développement… Quand je passais dans le grand-Nord, la population me disait : président notre grand problème ce sont les tracasseries, surtout pour les personnes qui font des déplacements. L’autre problème c’est la corruption ; nous avons un problème avec notre justice. Et moi je leur ai dit la solution que j’ai à très court, peut-être moyen terme, à très court terme je leur ai dit : la plupart des problèmes de tracasserie c’est dû – et cela c’est notre faute – c’est dû au fait que nous avons laissé certains responsables très longtemps en place, à presque tous les niveaux, et ils sont devenus des chefs coutumiers.
« D’autres ont transformé leurs ressorts en de républiques, leurs petites républiques. Pour cela, la solution à très court terme avant la fin de cette année – c’est déjà le mois de décembre – mais avant la fin de cette année nous allons effectuer des changements. Ces changements seront effectués avec objectivité et vont concerner les responsables à tous dans l’ensemble de la province. Et ce n’est pas seulement au Nord-Kivu, c’est un problème que nous avons en Province orientale, au Sud-Kivu...presque toutes les provinces de l’Est de notre pays. Cela nous allons le faire…
« Nous tenons un Conseil de ministres ici…qu’est-ce que nous allons décider ? Nous déciderons deux ou trois choses. La première c’est la consolidation de la paix dans cette province, qui passe elle-même par plusieurs étapes, dont celle de la poursuite de la modernisation de l’armée pour que nous soyons toujours prêts ; celle de la dotation de moyens à l’administration, à la justice pour que les services de l’Etat soient assurés ; celle aussi de trouver les moyens nécessaires pour poursuivre tous les projets que nous avions suspendus. J’ai dit que nous avions suspendu tous les projets pas seulement au Nord-Kivu, mais dans tout le pays – j’insiste pour que nous puissions nous entendre – parce que nous nous disions, notre premier ennemi il faut que nous puissions le vaincre, et si nous y arrivons nous poursuivons avec les projets. C’est chose faite, maintenant nous allons débloquer les moyens et nous allons poursuivre avec tous les projets qui étaient gelés.
« Je sais que c’est devenu un fond de commerce pour beaucoup de gens, surtout les politiciens qui disent voyez ils ont dit qu’ils construiraient ceci, qu’ils feraient cela… Moi quand je promets je réalise. Et si je n’arrive pas à réaliser, je dois venir et dire voilà je n’ai pas pu réaliser telle promesse pour telle raison et telle autre. Et c’est ce que je viens de faire ici. J’avais promis de réaliser un certain nombre de choses, nous avons échoué de le faire, et je vous en ai donné les raisons. Pour cela, je vous prie d’avoir la patience… Bien que comme on dit « Saint Thomas croit seulement ce qu’il voit », je veux que vous puissiez me croire.
« Le dernier point, c’est celui de la démocratie. Après 2003, nous avons pris l’option de la démocratie, pour que la population se choisisse ses dirigeants. Nous avons déjà fait des élections à deux reprises. Certains disent qu’en 2006 elles se sont bien déroulées, en 2011 elles se sont mal déroulées ; pour ma part je pense qu’elles se sont toutes bien déroulées. La démocratie c’est un long processus, et d’autres élections – locales et provinciales – viennent bientôt, que tout le monde se prépare déjà… Le maire sera élu, les bourgmestres seront élus… ainsi après ces élections lorsque je reviendrai ne venez pas me demander pourquoi il n’y a pas tel boulevard : la première personne à qui il faudra vous adresser c’est le maire de la ville, le gouverneur de province.
« Je terminerai par où j’ai commencé : vous présenter ma compassion. Bien que j’étais loin à Kinshasa – vous pouvez me croire ou ne pas me croire – mon cœur battait à Goma. Désolé pour tout ce qui est arrivé ! Je félicite la population du Nord-Kivu, parce que c’est une population qui a résisté ; qui a refusé de se placer sous le joug des…autres. Certains ont prétendu qu’ils sont de Goma, du Nord-Kivu, mais la population n’est pas dupe. Elle a dit : « toi tu es un enfant de Bukavu, de Goma, mais qui est derrière toi ? » Félicitation parce que vous nous avez donné la force de vaincre cette guerre ».

N.B. : L’enregistrement audio original (en Swahili) de l’allocution est disponible sur ce lien : https://docs.google.com/file/d/0B1UXlTEYMzbhT25RR1l0RVlrVVU/edit (première partie) et https://docs.google.com/file/d/0B1UXlTEYMzbhQTVGamJjbGFhUnM/edit (suite et fin).       

mardi 12 novembre 2013

Est de la RD Congo: Ces guerres..."au nom des Tutsis !"

Minova: Des enfants dans un camp spontané pour déplacés internes ayant fui les violences dans le territoire de Masisi. Photo: JMobert.

Par Jean-Mobert N.Senga

1996 : la guerre qui allait emporter le régime trentenaire de Mobutu éclate, quelque part au Sud-Kivu, dans l'est de la République Démocratique du Congo. En première ligne se trouvent les Banyamulenge – ces Tutsis Congolais vivant principalement dans les plateaux de Mulenge au Sud-Kivu et dont la citoyenneté zaïroise était déniée par les caciques du Mouvement populaire de la Révolution, parti-Etat. Ils ont pour principaux alliés, si pas meneurs, d’autres Tutsis – étrangers, ceux-là – les militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise venus de l’autre côté de la rivière Ruzizi, chez le minuscule voisin de la RDC, le Rwanda, où ils venaient fraîchement de renverser le régime du Hutu et ami personnel de Mobutu, le général Juvénal Habyarimana.

Deux ans plus tard, presque jour pour jour, alors que la rébellion de l’AFDL dans laquelle les Banyamulenge et d’autres Tutsis Congolais s’étaient tant investis dirige désormais le pays, avec à sa tête Laurent-Désiré Kabila, une autre rébellion éclate : le Rassemblement Congolais pour la Démocratie. Elle fait suite à l’endurcissement de ton – appelons - le comme cela – par Laurent-Désiré Kabila à l’égard de ses parrains Tutsis (Congolais et Rwandais). Soutenu également par le Rwanda, le RCD occupera jusqu’à la moitié du territoire national et durera jusqu’à la transition politique de 2003. Entretemps, le « traître » Laurent-Désiré Kabila – « traître » aux yeux des Tutsis et du Rwanda ayant substantiellement contribué à le faire installer au pouvoir – aura été assassiné dans des circonstances encore troubles à ce jour. Victime de la revanche des Tutsis qui lui en voulaient de les avoir trahis ? C’est l’une des hypothèses plausibles...

En 2003, à la suite d'âpres négociations entre Kinshasa et ses rébellions, un Tutsi (Munyamulenge) occupera le poste de vice-président pour la première fois dans l'histoire du Congo, en la personne d’Azarias Ruberwa Manywa, tandis que de nombreux autres seront déversés dans l’armée, la police, les services des renseignements et l’administration publique. Pour la première fois aussi, en 2006, un Tutsi – le même Azarias Ruberwa – sera candidat à l’élection présidentielle. Pourtant, à peine le « nouveau président » Joseph Kabila élu, d’autres Tutsis tentent une rébellion : Jules Mutebusi et Laurent Nkunda. Ayant échoué au Sud-Kivu, ce dernier émigre au Nord-Kivu où il crée, quelques mois plus tard, le « Congrès National pour la Défense du Peuple » (CNDP). En réalité, c’est un « Congrès pour la défense des Tutsis » qu’il estime marginalisés, forcés à l’exile au Rwanda et dans d’autres pays, et menacés par les rebelles Hutu rwandais installés au Congo depuis 1994. Au fur et à mesure des péripéties, on ira jusqu’à la création, début 2012, de l'actuel « Mouvement du 23 Mars » (M23) qui occupait encore il y a quelques jours une partie importante du Nord-Kivu.

De Azarias Ruberwa, Bizima Karaha, à Bosco Ntaganda, Sultani Makenga, en passant par Laurent Nkunda, les chefs de guerre Tutsis qui mènent les rébellions en République Démocratique du Congo prétendent lutter pour les droits de leurs frères Tutsis : droit à la nationalité, droit à être considérés dans la vie nationale, droit à retourner au pays pour les exilés, etc. Mais la main du régime Tutsi du Rwanda n’est jamais loin de toutes ces intrigues guerrières, si bien que les Tutsis sont de plus en plus indexés – collectivement, hélas ! – comme étant en grande partie à la base des souffrances endurées par les populations congolaises. L’idée qu’il y aurait un plan d’instaurer un empire Tutsi-Hima dans la région, ou encore d’opérer la partition de l’Est de la RDC à leur faveur a fait long feu. Le président Joseph Kabila, accusé à tort ou à raison d’incompétence est lui-même taxé de Tutsi ou de Rwandais. Mais bien sûr l’exacerbation, parmi les autres Congolais, du ressentiment envers les Tutsis n’est pas l’unique conséquence de ces rébellions menées en leur nom. D’une part, outre les millions de morts depuis 1996, des millions de gens ont dû fuir leurs maisons et leurs villages pour s’installer en lieux relativement plus sûrs au pays ou à l’étranger. La perte des biens, l’abandon de l’école pour des millions d’enfants, le viol massif des femmes, …sont autant d’autres conséquences. D’autre part, la situation des Tutsis Congolais ne s’est guère améliorée; bien au contraire. Des milliers d’entre eux vivent en exile depuis des décennies, et les guerres que l’on mène en leur nom sont loin de leur permettre un retour serein, voir un retour tout court.

Bref, comme le résumait si bien dans une interview Enock Ruberangabo, le lucide président de la communauté Banyamulenge de la RDC, les Tutsis Congolais sont « doublement victimes » des guerres chroniques que connaît la République Démocratique du Congo : comme d’autres Congolais, tout d’abord, ils vivent au quotidien les violences, l’exile et la misère ; et comme Tutsis, ils sont désignés comme étant les coupables, marginalisés, exclus, haïs, honnis par les autres communautés. Or, bien peu parmi les Tutsis ordinaires sont ceux qui trouvent leur compte dans cette folie, dont seuls quelques officiers militaires, hommes d’affaires et politiciens connaissent les tenants et les aboutissants. On en dirait autant, d’ailleurs, pour les autres groupes armés soi-disant communautaires (Hunde, Hutu, Lega, Nyanga, Tembo, Shi, etc.), dont seule une poignée de manipulateurs sont toujours bénéficiaires, et qui n’en embrasent pas moins les communautés tribales et ethniques, en les opposant les unes aux autres.

Alors, ces guerres et ces violences valent-elles vraiment la peine ? A qui profite-t-elles réellement ? Rarement à ceux dont elles portent abusivement le nom, qu’ils s’appellent Tutsi, Hunde, Lega, Hutu, Nyanga, Nande ou Tembo. Le jour où la population aura intériorisé cette réalité, personne ne pourra plus se servir de l’instrumentalisation ethnique pour justifier ou essayer de légitimer les violences. Et heureusement que ce jour est entrain de poindre à l’horizon, puisque de plus en plus de gens réalisent combien on est tous perdants dans la guerre ; combien les guerres qui opposent les uns aux autres ont toujours leur manipulateur, au pays ou à l’étranger, qui en tire parti et qui a intérêt à ce qu’elles perdurent.

Article publié initialement sur le site de Christoph Vogel (le 12 novembre 2013) dans le cadre des essais "Amani Itakuya", sur ce lien : http://christophvogel.net/2013/11/12/amani-itakuya-14-est-de-la-rdc-ces-guerresau-nom-des-tutsis/