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mercredi 12 septembre 2012

Manifestation spectaculaire devant le QG de la MONUSCO à Goma !

Témoins de l'évènement : le Secrétaire général adjoint de l'ONU en charge des Opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, et toute sa délégation (comprenant notamment le Commandant de la Force de la Monusco, ainsi que le Représentant spécial du Secrétaire général en RDC, Roger Meece) bloqués pendant plusieurs minutes par une poignée de jeunes surévoltés... Etaient également au quartier général de la Monusco, le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, le vice-gouverneur, et des officiers du haut commandement des FARDC.

Un message fort et clair


Ils étaient une cinquantaine de jeunes. Ni la pluie qui tombait sur la ville, ni les chars des nos vaillants "soldats de la paix", et encore moins les jeeps des policiers de la garde du gouverneur de province armés jusqu'aux dents ne les ont effrayés : ils ont tenu à remettre en mains propres leur mémorandum à Monsieur Hervé Ladsous, qui était de passage à Goma l'après-midi de ce mardi 11 septembre.

Non-violence et énergie ne sont pas incompatibles...
Arrivés presque en même temps que le fonctionnaire onusien au quartier général de la MONUSCO, confortablement installé au bord du lac Kivu, ces jeunes, dont le degré d'éveil, la détermination, et le style surprennent tout le monde, ont attendu plus de deux heures à l'entrée du QG, en brandissant leur message sur des calicots et des cartons sur lesquels on pouvait lire : "La meilleure manière de nous protéger, nous civils congolais, c'est de nous rétablir la paix ou la sécurité. La Monusco doit y oeuvrer ou s'en aller ". Ou encore : "Non à une Force internationale de trop. Monusco : à quoi sert le Chapitre VII ? Appliquez-le maintenant, ou partez  ! ".

De temps en temps, ils scandaient en choeur, dans leurs mégaphones : "Monusco, 12 ans de présence chez nous, quatre millions de dollars dépensés journellement, sous le prétexte d'une paix qui se fait toujours attendre. Nous avons assez d'un gouvernement irresponsable, et d'une communauté internationale spectatrice !"...

Parmi les autres témoins de la manifestation : plusieurs journalistes des médias nationaux et internationaux venus couvrir la visite de Monsieur H. Ladsous, le personnel de la MONUSCO, des éléments de force de sécurité et du protocole congolais,... Des copies de leur mémorandum ont été distribuées à volonté.

Se faire entendre, ou se faire écraser !
Ensuite est venu le moment sans doute le plus marquant de l'après-midi : la sortie du convoi de Monsieur Ladsous. Les jeunes manifestants, intrépides, ont formé une chaîne humaine, derrière leur calicot, et ont barré la porte de sortie du QG de la MONUSCO. L'intervention des dizaines de policiers qui attendaient les délégations à l'extérieur n'y a rien fait. La garde rapprochée du sous-secrétaire général a dû venir en renfort. Alors ces braves jeunes se sont assis devant les 4x4, toujours en criant "la paix", "nous protéger c'est nous rétablir la paix", "gouvernement irresponsable, ONU passive", "construisez un camp comme celui-ci pour 10 millions de nord-kivutiens", "MONUSCO, are you soldiers or tourists ?"...

Poussez, tant que vous avez les oreilles découvertes !

Bousculés, piétinés, mais tenaces !
Une démonstration comme je n'en ai jamais vue ! Des jeunes (congolais, intellectuels, et à Goma, capitale congolaise de la violence, de surcroît !) qui s'accrochent sur des véhicules, sur pneus des chars, ou les bottines d'hommes armés jusqu'aux dents, qui crient à tue-tête dans les oreilles d'une aussi haute personnalité, qui, ... Après une bonne demie-dizaine dizaine de minutes, le convoi a pu se frayer un chemin, mais le message est passé. Et avec force.

Après le départ de la délégation onusienne, c'était au tour du gouverneur de province et sa délégation de quitter l'enceinte de la MONUSCO. Lui aussi en a eu pour son compte : "gouvernement irresponsable", "gouvernement irresponsable"... Ces mots ont dû résonner comme un affront à ses oreilles, tellement il n'y est pas habitué. Et tant mieux...

Ces jeunes n'en sont pas à leur première manifestation. A la veille du 52ème anniversaire de l'indépendance, pendant qu'ils préparaient une grande manifestation en distribuant des tracts d'appel et en invitant la population à sortir de la résignation, six d'entre eux avaient été arrêtés et détenus pendant une semaine par les services de renseignement. Ils seront relâchés, grâce notamment à la mobilisation de leurs collègues et d'autres jeunes partageant leur engagement. Le 15 août dernier, alors que se réunissait à Goma le sous-comité des ministres de la défense de la CIRGL, ils étaient parvenus à passer dans l'étroit filet des services de sécurité et avaient manifesté leur opposition au projet de déploiement d'une (autre) force internationale à l'Est de la RDC. Plus récemment encore, le 5 septembre, ils ont manifesté dans les rues de Goma, et adressé un mémo au Président de la République dans lequel ils demandaient le renforcement des FARDC et la démission de deux de leurs hauts commandants : le chef d'état-major général Didier Etumba, et le redoutable chef d'état-major de la Force terrestre, le général Gabriel Amisi Kumba dit "Tango Fort".

Ils promettent d'intensifier leur activisme, jusqu'à ce que révolution s'opère dans le pays. Le 21 septembre, journée mondiale de la paix, pourrait être leur prochain rendez-vous. Le 27 septembre, pendant qu'il se tiendra à New York une grande réunion sur la situation à l'Est de la RDC, ils promettent de faire à nouveau entendre leur voix. Ils refusent de se donner un nom et des structures, car leur démarche consiste avant tout à se défaire des sentiers bâtis auxquels on a habitué les congolais à se conformer. Ils se définissent tout simplement comme un mouvement d'éveil et d'action citoyens, avec pour slogan le mot swahili "INATOSHA !" (c'est-à-dire Assez ! ou Ca suffit !) : assez de la guerre, assez des injustices, assez de la cupidité des dirigeants, assez du système de gouvernance, ...



Les gens peuvent choisir de fermer les yeux ou de boucher les oreilles, mais il est clair qu'il y a une jeunesse congolaise qui est entrain de sortir de son mutisme et de sa résignation, et qui n'entend plus laisser libre cours à ceux qui se plaisent à orienter à leur manière son avenir. Pour ma part, je vois en eux poindre (à l'Est) le soleil de la révolution congolaise. Vous en doutez ? L'avenir nous dira qui, entre vous et moi, a tort ou raison...

mardi 11 septembre 2012

La MONUSCO doit rétablir la paix en RDC, ou s'en aller : Mémorandum des jeunes congolais à Monsieur Hervé Ladsous

Les jeunes intellectuels du Nord-Kivu qui ont donné à leur mouvement anonyme et atypique le slogan "Assez !" adressent un mémorandum au Sous-Secrétaire général des Nations Unies pour les Opérations de maintien de la paix, Monsieur Hervé Ladsous, qui est en visite officielle en République Démocratique du Congo. Je vous propose ici le contenu de ce mémorandum, dans son intégralité. 

M. Hervé Ladsous


LA MEILLEURE MANIERE DE NOUS PROTEGER, NOUS, CIVILS CONGOLAIS, C’EST DE NOUS RETABLIR LA PAIX ET LA SECURITE : LA MONUSCO DOIT Y ŒUVRER OU S’EN ALLER
Mémorandum adressé à Monsieur Hervé Ladsous, Secrétaire général adjoint des Nations Unies pour les Opérations de maintien de la paix
Goma, le 11 septembre 2012

Monsieur le Secrétaire  général,
1.       Le but primordial des Nations Unies est de « maintenir la paix et la sécurité internationales, et à cette fin, prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix […] » (article 1er de la Charte) ;

2.       La République Démocratique du Congo, notre pays, se trouve en situation de rupture de la paix et d’agression, et les conséquences sur les plans économique, social et humanitaire sont incommensurables. Certes, il est de la responsabilité première du gouvernement de la République Démocratique du Congo d’assurer la paix et la sécurité à l’intérieur de ses frontières et de protéger la population, mais il est évident qu’il n’en est pas capable pour le moment, et la MONUSCO, en tant qu’instrument de la solidarité internationale à notre égard, ne sert à rien si elle ne peut pas suppléer à cette lacune et rétablir la paix rompue depuis tant d’années ;

3.       La Résolution 2053 du 27 juin 2012 qui prolonge le mandat de la MONUSCO jusqu’au 30 juin 2013 comporte beaucoup trop d’assignations, qui finalement effacent l’essentiel, à savoir le rétablissement de la paix et de la sécurité, et rendent la Mission inefficace, inutile, voire outrageante à nos yeux. La Résolution 2053 comporte plus ou moins 19 assignations à la MONUSCO, telles que fixées dans la résolution 1925, paragraphe 12, points (a) à (p) et (r) à (t), sans compter d’autres « soutiens » au gouvernement de la RDC dans une pléthore de domaines. Il en a été ainsi depuis la création de la MONUC jusqu’à ce jour, et voilà plus d’une décennie que nous attendons en vain la précieuse paix ;

4.       Nous sommes fatigués de mourir et souffrir sous le regard quasiment passif des Nations Unies à travers la MONUSCO, et nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. De fait, alors même qu’il est affirmé que la priorité actuelle de la MONUSCO est la protection des civils (résolution 2053, paragraphe 1), nous avons été plusieurs fois témoins des situations d’insécurité grave où les Casques bleus de la MONUSCO sont restés enfermés dans leurs camps, la population n’ayant d’autre choix que de se cantonner tout autour (Mushaki, Kiwanja, Bunagana, Rugari, …). Pire, il est arrivé parfois que dans l’imminence des attaques, la MONUSCO lève tout simplement le camp (cela s’est récemment passé à Rubare, en territoire de Rutshuru, notamment). Si sa présence ne peut pas servir à nous rendre ce que le gouvernement n’est pas capable de nous assurer, alors nous préférons nous passer d’un tel outrage. C’est pourquoi nous vous enjoignons de faire tout ce qui est en votre pouvoir, y compris saisir le Conseil de sécurité, pour que :

Le mandat de la MONUSCO  soit revu rapidement de manière à le restreindre aux seules assignations véritablement essentielles et prioritaires, à savoir :
a.       Le rétablissement rapide de la paix et de la sécurité en République Démocratique du Congo, car c’est l’unique manière de protéger efficacement les civils que nous sommes. L’inverse ne se vérifie pas ;
b.      La formation de nouvelles forces de sécurité de la République Démocratique du Congo, de manière à nous préparer à assurer notre propre résilience en matière de paix et de sécurité, car tout le reste (démocratie, justice, développement, …) en dépend.

5.       Pour ce faire, les Nations Unies devraient adopter un plan clair en termes d’objectifs déterminés dans le temps, et non plus des mandats indéfiniment renouvelés, sans aucune vision à terme, qui n’ont pas d’impact tangible et qui ne permettent pas aux congolais de se préparer à reprendre eux-mêmes les choses en mains, alors que la MONUSCO gaspille beaucoup de ressources (1,4 milliard de dollars cette année) ;

6.       Que la MONUSCO nous rétablisse donc la paix et la sécurité ; que pour les maintenir et de les consolider, elle forme de nouvelles forces de sécurité congolaises. Alors elle pourra se retirer avec la certitude d’avoir rendu le peuple congolais à jamais reconnaissant envers les Nations Unies. Cela contribuerait véritablement à la consolidation des avancées significatives auxquelles la communauté internationale nous avait aidés à parvenir au cours des dernières années, avec notamment la réunification du pays et l’amorce du processus démocratique. Si par contre elle ne peut pas le faire, c’est que sa présence ne se justifie pas, et elle doit s’en aller, maintenant. Nous n’en attendons rien d’autre.



Fait à Goma, le 11 septembre 2012

 Les Forces vives du Nord-Kivu


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lundi 10 septembre 2012

Kampala I, II, et bientôt III : Kabila toujours aussi dupe ?

Le deuxième "sommet" des Chefs d'Etat de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs consacré à la résolution du conflit militaire à l'Est de la RDC s'est finalement tenu ce samedi 8 septembre à Kampala, après deux jours de retard. Il avait pour objectif principal de tabler sur la mise en oeuvre de leur projet de déploiement d'une "force internationale neutre", sur base des recommandations du sous-comité des ministres de la défense qu'ils avaient institué lors de leur dernier "sommet", et dont le rapport a été soumis à l'ougndais Yoweri Museveni, Président en exercice de la CIRGL, à la mi-août.


Kagame, lui, avait mieux à faire...

Sur onze Chefs d'Etats et de gouvernements attendus à Kampala ce weekend, seulement trois ont répondu à l'invitation du président Museveni : le tanzanien Jakaya Kikwete, le congolais Joseph Kabila, et le sud-soudanais Salvar Kiir (qui était invité comme simple observateur au sein de la CIRGL). Celui dont l'absence a été la plus remarquée est sans aucun doute le rwandais Paul Kagame, qui a préféré déléguer sa "dame de fer" de ministre des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, qui était accompagné de l'incontournable James Kabarebe, ministre de la défense.

Le "patron", lui, était en déplacement en Chine, où il a participé hier dimanche à Hong Kong à la rencontre de l'Organisation des jeunes Présidents (Young President Organization). Ce lundi 10 septembre, il rencontre les hommes d'affaires de la grande métropole de l'Empire du milieu, avant de prendre part, mardi, au Forum économique mondial qui se tiendra dans la ville chinoise de Tianjin. Enfin, bref ! Je lis dans les filigranes le message de Paul Kagame à Kabila qui doit être : "Cher ami, mon pays est pauvre, mais contrairement à toi, j'ai pour lui un grand rêve. Alors, excusez-moi, mais je n'ai pas de temps à perdre avec vous...".

Il a raison, non ! Il faut être aussi dupe que le président Kabila pour ne pas se rendre compte que ces rencontres successives sont une vraie perte de temps (et d'argent, à cela on est déjà assez...habitué). Aussitôt la thèse de l'agression de la RDC par le Rwanda "validée" par Kinshasa, le gouvernement a multiplié les lettres, les missions, pour "dénoncer" sa déstabilisation et ...crier (!) au secours : New-York, Addis-Abeba, Kampala, Maputo, Goma, ... Les crédules chefs de confessions religieuses et membres de la "société civile" ont emboîté le pas aux politiciens, et parcourent l'occident, avec des cartons de pétitions, à la recherche d'un messie qui sauvera le Congo de ses agresseurs. Peine perdue ! Sur le terrain au Nord-Kivu, le M23 a humilié les FARDC à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il se décide lui-même de stopper son avancée. Des milliers de pauvres congolais forcés de quitter leurs maisons et leurs biens meurent de froid, de faim et de soif, voici six mois déjà.

Beaucoup a été dit sur l'absence du président rwandais à ce sommet : "mépris à l'égard de ses pairs", "remords, après l'échec subi auprès du comité des sanctions des Nations-Unies", "défiance vis-à-vis de Joseph Kabila, dont le gouvernement a traité le Rwanda et ses autorités de tous les noms suite au spectaculaire retrait du contingent rwandais", etc. Au moins lui a le culot de prendre des décisions strictes, y compris celles qui fâchent tout le monde, pour autant qu'il croit le faire pour l'intérêt supérieur de son pays. Il n'est pas homme à contenter le monde entier, et tant mieux pour lui. Ceux qui ont des raisons (vraies ou erronées) de le haïr devraient au moins avoir le courage d'admirer rigueur et...de s'en inspirer. Joseph Kabila aurait une telle personnalité, les problèmes de la RDC en seraient résolus à moitié... Hélas, on est loin du compte ! Quoiqu'il en soit, il me semble que sa présence ou son absence ne change rien au fait que c'était (encore) un sommet pour rien, ou presque.

Des avancées ! Mais lesquelles, et pour quel résultat ? 

Kampala II - ne vous fatiguez pas de compter, ce n'est que le début - a pris un certain nombre de décisions, aussi incohérentes, irréalistes ou inutiles les unes que les autres :

  • La "création d'une force internationale neutre", dotée d'un mandat de l'union africaine et des Nations Unies" : un peu comme si il revenait à la CIRGL de décider à la place de l'Union africaine ou des Nations Unies de donner le mandat à une force internationale... Ces organisations ont des structures chargées d'examiner l'opportunité et la faisabilité d'un tel projet, avant de fixer un mandat. D'ailleurs, le communiqué de Kampala II le reconnaît lui-même, parce que plus loin il indique que quatre des pays membres de la CIRGL devront saisir le Conseil de paix et de sécurité de l'UA, et exhorte cette dernière à saisir à son tour les Nations-Unies au sujet de ce mandat et du soutien dont la force de la CIRGL aura besoin. Pour ce qui est de l'UA, il est fort possible qu'elle donne son mandat à cette force, parce que ce qui s'y fait n'est pas très différent de ce cirque de la CIRGL. Mais pour ce qui concerne l'ONU, il y a fort à parier qu'elle ne voudra pas s'engager à soutenir (y compris financièrement) une force internationale, en plus de la MONUSCO, qui est présente sur place, qui coûte énormément cher, et qui dispose déjà du mandat de rétablissement de la paix. 
  • Le déploiement de la "force internationale neutre" dans les trois mois à compter de ce sommet : là aussi, il n'y a rien de nouveau. Ceux qui croient en ce schéma (je n'en fais pas partie) s'attendaient peut-être à ce que des pays annoncent plutôt qu'ils donnaient des troupes et des moyens à cette force, mais seule la Tanzanie a annoncé être disposée à envoyer des hommes (sans dire combien). Le chiffre de 30 millions de dollars aurait été annoncé comme prévision budgétaire, ce qui est tout à fait dérisoire (la MONUSCO consomme 30 millions de dollars en moins de dix jours ! Raisonnablement, une telle somme ne peut pas tenir trois mois, à supposer que cette force soit composée en tout de quatre à six mille hommes). 
  • L'élargissement du sous-comité des ministres de la défense et du "Mécanisme conjoint de Vérification" (MCV) à tous les Etats membres de la CIRGL et mise en place d'une "Equipe militaire d’Évaluation : cette équipe devrait, selon le communiqué final du "sommet", "faire une évaluation sur le terrain pour déterminer, entre autres, la structure, la configuration et les zones de déploiement de la force internationale neutre". Elle devrait également élaborer dans les deux semaines un "Document de Concept d'Opérations de la force internationale neutre". On tourne autour du pot : la détermination de la structure, de la configuration et des zones de déploiement de la la fameuse force internationale est censée avoir été faite lors de la réunion de le sous-comité des ministres de la défense (alors restreint) qui s'était réuni à Goma les 15 et 16 août dernier. L'on se rappellera d'ailleurs qu'il avait été annoncé, notamment, que la "force internationale" serait composée de 4000 hommes, qu'elle son déploiement serait effectif dans les trois mois à compter de Kampala II, et qu'elle serait déployée dans les zones de Rutshuru, Beni-Rwanzori, Walikale, Masisi, et dans la pleine de la Rusizi. Ces éléments vont-ils changer ? 
  • La cessation "immédiate" des hostilités : dans une formule laconique, le communiqué de la CIRGL indique qu'il "doit être demandé au M23 d'arrêter immédiatement toutes les activités militaires, y compris le recrutement et l’approvisionnement en armes et minutions". Il est aussi "proposé au président en exercice de la CIRGL (Yoweri Museveni) de bien vouloir instruire le M23 de retourner dans ses positions du 30 juin 2012", et de "poursuivre les efforts diplomatiques auprès des parties en conflit à l'est de la RDC en vue de une cessation totale des hostilités, et de résoudre la crise, si possible, par des voies politiques".  Les incohérences contenues dans ce communiqué sont stupéfiantes : la CIRGL tient-elle à intervenir militairement à l'Est de la RDC, ou opte-t-elle pour une résolution politique de la crise ? Si l'option militaire est déjà prise, comme cela semble être le cas, à quoi sert-il d'envisager la solution politique ? Pourquoi n'avoir pas commencé par là, avant de perdre des mois à préparer une intervention qui pourrait ne jamais avoir lieu ? Il y aussi des non-dits : Joseph Kabila envisage-t-il enfin de négocier avec le M23 ? N'est-ce pas que c'est là que conduit la voie politique ! Et puis, qu'en est-il des autres groupes armés que la force internationale est censée aller combattre ? Va-t-on entreprendre des contacts en même temps avec les FDLR, les différents groupes Maï-Maï, les  ADF/NALU, les FNL, et tout le reste ? Il ne faut pas que le M23 mérite seul ce traitement politique, et pas les autres groupes, au risque de créer une situation ingérable ! 

Ce sont là les principales décisions issues de ce "sommet". Ceux qui en attendaient une avancée significative doivent être déçus. D'autres qui, comme moi, n'en attendaient rien, sont confortés dans leur croyance que ce schéma doit être abandonné, au profit d'une option plus concrète et plus rapide. Même la brèche ouverte sur la solution politique n'inspire aucun crédit, dans le contexte actuel. En effet, le gouvernement congolais persiste à accuser le Rwanda de l'agresser, mais ce dernier le nie : avec qui alors faut-il entreprendre des négociations ? Avec l'agresseur rwandais qui ne l'admet pas, ou avec les "mutins" du M23 qui n'attendent que cela ? Et puis il y a toute la multitude de groupes armés nationaux et étrangers avec lesquels il faudrait trouver une solution politique : le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda sont-ils enfin disposés à s'asseoir sur une table de négociations avec, respectivement, les FDLR, les FNL, et les ADF/NALU ? Rien n'est moins sûr.

Des jeunes manifestants
contre le déploiement d'une force internationale neutre
le 5 septembre 2012 à Goma. 
Joseph Kabila doit choisir clairement, entre persister à quémander le soutien militaire de quelques bons samaritains, qui accepteraient, pro Deo, de mettre en jeu la vie de leurs propres citoyens sur les champs de bataille de l'Est de la RDC, pendant que les congolais chantent et dansent le Ndombolo; et trouver une solution proprement congolaise. Pour cette dernière option, il a encore un moyen d'implorer  le M23 de déposer les armes afin de revoir ce qui n'a pas marché après les accords de paix de 2008 et 2009. Eh oui ! implorer, parce que son gouvernement est en grande partie responsable de cette crise, qu'il aurait pu éviter, mais surtout parce qu'il est incapable de leur affronter militairement. Dans le cas contraire, qu'il insiste auprès de l'ONU pour que le mandat de la MONUSCO soit redéfini et orienté prioritairement sur la restauration de la paix, et qu'il organise les FARDC pour se servir utilement de ces braves hommes et femmes, congolais, qui sont prêts à verser le sang pour leur patrie.

Si Joseph Kabila ne veut pas raison entendre; s'il continue de boucher les oreilles face aux cris de sa population, qui est lassée de la guerre, de l'attente, et des humiliations, et qui veulent la paix "tout de suite", il se rend à lui-même un mauvais service : lorsque le peuple se lèvera contre lui et le système qu'il sert, rien ni personne ne sauront l'arrêter. Et il sera trop tard pour se ressaisir...

mercredi 5 septembre 2012

Guerres à l'Est de la RDC : la jeunesse du Nord-Kivu lance un grave défi au Président Kabila !






Au moment où s'ouvre à Kampala, ce jeudi, le deuxième Sommet de la CIRGL sur la situation sécuritaire à l'Est de la RDC, plusieurs dizaines de jeunes intellectuels de Goma ont manifesté pacifiquement ce mercredi 5 août 2012 à Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, essentiellement pour scander leur farouche opposition à l'idée de déployer une force internationale "neutre" dans leur contrée. 

Ces jeunes, qui ne s'identifient à aucune organisation, aucune association, aucun courant politique ou idéologique, disent avoir en commun une "révolte débordante" due à la fois à la situation des guerres à répétition dans leur pays et leur province, au laxisme du gouvernement, et à l'inaction de la communauté internationale, représentée à leurs yeux par la MONUSCO.

Ils arboraient des cartons pendant au cou sur lesquels on pouvait lire : "non à une force internationale de trop !". Ils demandent au Président Joseph Kabila, dont ils rappellent qu'il est le "Commandant suprême des FARDC", de "nettoyer" la chaîne de commandement des FARDC, d'améliorer leur condition sociale et de leur doter de moyens matériels et techniques adaptés au défi de la sécurisation des frontières de l'Est de la RDC. Ils exigent en particulier, en les nommant - chose plutôt audacieuse - que le Chef d'Etat-major générale des FARDC, le Lieutenant-Général Didier Etumba, et le Commandant de la Force terrestre, le Général Gabriel Amisi Kumba dit "Tango Four" soient démis de leurs fonctions et remplacés par "des officiers plus compétents et loyaux à la République", ajoutant qu' "il n'en manque pas !". 

Ces jeunes reprochent à ces généraux de l'armée nationale congolaise d'avoir montré suffisamment leurs limites à accomplir les devoirs de leurs charges, "à en juger aux résultats sur terrain". Astuce plutôt réussie, si l'on sait que d'autres congolais accusent purement et simplement le Général Amisi Kumba d'être un "traître à la solde des ennemis du peuple congolais". Plusieurs organisations de la société civile congolaise ont déjà demandé, de façon confidentielle, sa mise à l'écart, mais toujours sans succès. 

La MONUSCO n'est pas épargnée : ces jeunes révoltés l'accusent d'être elle aussi laxiste, et d'assister religieusement au saccage de la RDC alors qu'elle est censée ramener la paix (ou y contribuer substantiellement). Ils rappellent que la MONUSCO dépense chaque minute la somme indécente de plus ou moins 2 500 dollars américains (soit près de 4 millions de dollars par jour); qu'elle est présente en RDC depuis plus de 12 ans, "sous le Chapitre VII", et que malgré tout la paix se fait toujours attendre, spécialement dans les provinces du Kivu. Tout en rappelant leur conscience de la primauté de la responsabilité du gouvernement à assurer la paix et la sécurité, ces jeunes demandent que la MONUSCO applique immédiatement le Chapitre VII et oeuvre réellement à ramener la paix.

Ce mouvement anonyme qui se veut révolutionnaire n'en est pas à sa première démonstration. A la mi-août dernier, ces mêmes jeunes (alors moins nombreux que ce mercredi) étaient parvenus à déjouer les mécanismes de sécurité déployés autour de l'hôtel où se tenait la réunion du sous-comité des ministres de la défense de la CIRGL, et avaient manifesté leur opposition à la force internationale neutre. Chaque jour qui passe, le mouvement gagne le coeur de nombreux jeunes et semble susciter en même temps beaucoup de sympathie de la part des habitants de la ville de Goma. Le mouvement va-t-il faire tâche d'huile ? Il est encore trop tôt de le dire. Mais ce qui est sûr, c'est que ces jeunes montrent une énergie étonnante et inédite dans leur lutte, et semblent déterminés à la mener jusqu'au bout. 

En demandant nommément et publiquement la mise à l'écart de ces hauts commandants des FARDC, ils viennent de briser un tabou, et de lancer au président Kabila un grave défi, mais de manière très ingénieuse : s'il s'obstine à garder ces officiers, c'est lui-même qui pourrait être leur prochaine cible ! 

Or, il n'est pas sûr qu'il les suivent. Si l'opposition, qui a déjà évoqué la mise en accusation du Chef de l'Etat pour haute trahison, vient à s'allier la société civile et les forces vives de la nation dans cette requête, il est fort à parier que le pouvoir de Kabila subisse de sérieux coups dans les prochains jours...

Ci-après le message intégral de ces jeunes. Il est intitulé : 


"Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement ;

Nous en avons ASSEZ de ces guerres qui, depuis tant d’années, prennent nos vies et celles de ceux qui nous sont chers, accaparent nos biens, bafouent notre dignité, et détruisent nos espoirs.

Nous en avons ASSEZ de la guerre, quelles qu’en soient les motivations, les méthodes ou les protagonistes : nous voulons la paix. Et nous la voulons MAINTENANT !  

Cependant, nous n’approuvons pas et n’accepterons pas le déploiement d’une « force internationale neutre », telle que vous êtes entrain de l’envisager au niveau de la Conférence internationale sur la Région des Grands-Lacs :

-          D’abord parce que ce serait une force de trop, dans une région déjà sur militarisée, où l’on dénombre beaucoup d’autres forces (MONUSCO, AFRICOM, FARDC, sans parler des nombreuses forces négatives comme le M23, les Maï-Maï, les FDLR, etc.) ;
-          Ensuite parce que comme vous en êtes conscient, il sera difficile, long et coûteux de mettre en œuvre cette nouvelle force. Or, nous avons déjà assez attendu, assez souffert, et nous sommes au bout de notre patience. Vous avez peut-être tout votre temps, mais les groupes armés qui nous tuent, nous violent, incendient nos habitations, et conquièrent nos villages, eux ne nous ferons pas de répit en attendant gentiment que cette force incertaine vienne les défaire ;
-          Enfin parce que même si par quelque magie, et après on ne sait combien de temps, cette « force internationale neutre » venait à être déployée, elle ne fera rien de mieux que la MONUSCO qui « observe » nos malheurs depuis tant d’années déjà ; elle ne produira pas de meilleurs « résultats » que les opérations conjointes menées avec le Rwanda. Qui plus est, elle risque de s’installer dans la durée, comme celles qui l’ont précédée.

Nous ne voulons donc pas d’une force autre que les FORCES ARMEES DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO. Tout ce que nous vous demandons de faire c’est de :

1.      Assainir la chaîne de commandement de nos forces de sécurité (armée, police, renseignement). A ce sujet, nous exigeons que le Chef d’Etat-Major Général , le Lieutenant-Général Didier Etumba et le Chef d’Etat-major de la Force terrestre, le Général Gabriel Amisi Kumba dit « Tango Four » et tous les officiers de leur acabit soient immédiatement démis de leurs fonctions et remplacés par des officiers plus compétents et loyaux (la République n’en manque pas !), parce qu’à n’en juger qu’à leurs résultats, ils ont lamentablement failli à leur mission, et humilié les hommes sous leur commandement ainsi que tout le peuple congolais ;

2.      Une fois le commandement des FARDC et des autres forces de sécurité assaini, mettez-les dans des conditions humaines décentes et dotez-les rapidement de moyens matériels, techniques et financiers suffisants, afin qu’ils soient en mesure de donner le meilleur d’eux-mêmes pour libérer la Nation de tous les groupes armés et des agresseurs. C’est de cette seule manière que l’intégrité territoriale et la souveraineté de notre pays seront rétablies rapidement et maintenues de façon durable. C’est non seulement une solution plus efficace et plus rationnelle, mais aussi une option qui respecte notre dignité en tant que Nation.

Tout en vous rappelant que la défense de notre pays ne revient pas à des pays tiers ou à la « communauté internationale », nous vous demandons d’insister auprès du Conseil de sécurité des Nations-Unies pour que le Chapitre VII de la Charte soit effectivement appliqué, et que la MONUSCO exécute effectivement son mandat, ou se retire carrément.

Comprenez, Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement, notre révolte légitime."  

  

lundi 3 septembre 2012

Conflit à l’Est de la RDC : la société civile congolaise rejette la « solution » de la CIRGL


A l'initiative du CREDDHO (Centre de Recherche sur l'Environnement, la Démocratie et les Droits Humains) et CIVIS CONGO (une organisation citoyenne basée à Goma), quelque 32 organisations de la société de toute la République Démocratique du Congo viennent d'adresser au Président Joseph Kabila une lettre intitulée "La République est agressée : on n'a pas à être "neutre" pour défendre sa souveraineté et son intégrité". Ces organisations expriment leur rejet du schéma de la CIRGL qui consiste à déployer à l'Est de la RDC une force internationale "neutre" pour combattre la rébellion du M23 et les autres groupes armés actifs dans cette région congolaise. 

Les signataires de la lettre ouverte reprochent au schéma de la CIRGL, notamment : 
-          D’être truffé d’incohérences et d’hypocrisie ;
-          D’être ambigu et irrationnel ;  
-          D’être à la fois incertain et inefficace pour résoudre le problème ;
-          D’être humiliant pour la Nation congolaise.  


La société civile congolaise propose donc au Président de la République, à travers cette lettre ouverte, de renoncer purement et simplement au schéma de la CIRGL concernant la « force internationale neutre » à déployer à l’Est de la RDC.

A la place, la société civile lui suggère :

-             De mettre ensemble toutes les unités militaires formées par différents partenaires de la RDC et leur doter de moyens matériels et financiers suffisants pour que, avec l’appui des meilleurs des autres soldats et, éventuellement, un appui technique et logistique de pays amis de la RDC, ils puissent préparer et mener l’offensive contre le » M23 », et ensuite contre les autres groupes rebelles locaux ou étrangers qui n’accepteraient pas un appel ultime à déposer les armes et à se rendre ;

-       De persister à demander le renforcement du mandat de la MONUSCO et son application effective afin qu’elle contribue substantiellement au rétablissement rapide de la paix et de la stabilité dans la partie Est de la RDC. 

ElEntre autres propositions que la société civile formule, il y a le gel des avoirs domiciliés en RDC de toutes les personnes liées directement ou indirectement au M23 et aux autres groupes armés qui sévissent à l'Est de la RDC; l'assainissement de la chaîne de commandement des FARDC; l'assistance aux déplacés de guerre par le gouvernement; etc. 

Cette prise de position de la société civile intervient au moment où les Chefs d'Etats et de gouvernements de la CIRGL doivent se réunir une fois encore à Kampala, cette semaine, pour tabler sur les propositions sur l' "opérationnalisation" de la fameuse "force neutre" du sous-comité interministériel des ministres de la Défense de la sous-région, qui s'était réuni à Goma les 15 et 16 août dernier. 

Je vous propose le contenu de cette lettre ouverte dans son intégralité.


LA REPUBLIQUE EST AGRESSEE : ON N’A PAS A ETRE « NEUTRE » POUR DEFENDRE SA SOUVERAINETE ET SON INTEGRITE !

Lettre ouverte adressée à Son Excellence Monsieur Joseph Kabila Kabange, Président de la République Démocratique du Congo, au sujet de la résolution de la crise sécuritaire qui secoue le pays
Palais de la Nation, Kinshasa/Gombe                                                                                                                       
Goma, le 31 août 2012

Excellence Monsieur le Président de la République,

Avec l’expression de nos hommages les plus déférents,

1 – Par la présente, nous, organisations de la Société civile de la République Démocratique du Congo, du Nord et Sud-Kivu plus particulièrement, tenons à vous faire part de notre vigoureux désaveu de la prétendue « neutralité » de la Force internationale telle qu’envisagée dans les tractations diplomatiques en cours dans le cadre de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL). Nous voulons en même temps exposer à votre intention une solution alternative qu’à tous égards nous considérons comme étant la plus appropriée, la plus légitime, la plus efficace, la plus durable, et la plus à même d’emporter l’adhésion de la population et des forces vives que nous sommes.

2 – Vous êtes le Garant de la Constitution, et en tant que tel vous avez, l’obligation de défendre la souveraineté et l’indépendance de la République (article 69 alinéa 3), en particulier au moment comme celui-ci où cette souveraineté et cette indépendance sont mises en mal par une vicieuse rébellion et de nombreux groupes armés qui tuent, violent, et dépouillent la population, ou la contraignent à l’exil. Nous ne pouvons pas toujours tout attendre des autres, nous plaindre sans cesse, comme si nous avions renoncé à notre autonomie et notre souveraineté en tant qu’Etat, et à notre dignité en tant que Nation.     

3 – La rébellion du soi-disant « Mouvement du 23 mars » occupe actuellement la quasi-totalité du territoire de Rutshuru, et a installé son administration. Elle vient même de se doter, depuis quelques jours, d’une structure politique quasi-gouvernementale. Les affrontements dont il est à la base à Masisi d’abord, et dans les territoires de Rutshuru, Lubero et Nyiragongo ensuite, ont causé le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de civils à l’intérieur de la province du Nord-Kivu et dans les pays limitrophes. Ces déplacés et réfugiés vivent depuis des mois dans des conditions parfois inhumaines. Plusieurs enfants et jeunes ont été enrôlés de force dans les rangs de cette rébellion. Des tueries sont commises, des femmes violées, des maisons incendiées, des récoltes pillées, des taxes imposées, etc. La ville de Goma connaît aujourd’hui des difficultés majeures d’approvisionnement en denrées alimentaires et autres produits qui transitent normalement par la frontière de Bunagana ou qui proviennent des territoires de Beni et Lubero.

4 – Les groupes armés locaux et étrangers qui pullulent à l’Est de la RDC ont redoublé d’activisme ces derniers mois, profitant de la monopolisation de l’attention sur la nouvelle rébellion du « M23 ». Selon divers témoignages, nos braves frères et sœurs militaires des Forces armées de la République Démocratique du Congo envoyés sur les champs de bataille sont mal entretenus, sous-équipés, et souvent commandés par des officiers à la solde de l’ennemi qu’ils sont censés combattre, ce qui leur cause mort, blessures, échecs et humiliation.

5 – Les revendications du « M23 » sont variables au gré du temps, et à mesure qu’ils se croient avoir un certain avantage militaire. Le gouvernement a rejeté catégoriquement l’option de la négociation, ce que nous trouvons juste et convenable. 
   
Les mêmes erreurs stratégiques produiront les mêmes conséquences

Excellence Monsieur le Président de la République,

6 – Ceux qui mènent le « M23 » n’en sont pas à leur premier essai. Par le passé, le  gouvernement a choisi des raccourcis qui assuraient un semblant de paix et de stabilité éphémères, plutôt que de prendre des décisions difficiles mais susceptibles de régler définitivement le fond du problème : à la répression des criminels notoires, vous avez préféré l’amnistie, le dialogue, voire la collaboration ; à la fermeté et la rigueur, vous avez préféré la largesse et la tolérance à outrance ; à la justice, vous avez privilégié « la paix ». Vous avez procédé au « mixage », au « brassage », à l’ « intégration », … ; vous avez initié, parfois sans l’avis des représentants du peuple, les opérations « Umoja Wetu », « Amani Leo », « Kimia I », « Kimia II », « Hatuwa ya Maana », … Aujourd’hui, il est évident que vous n’avez pas fait les choix qu’il fallait. Mais pire que cela, ce serait de commettre aujourd’hui les mêmes erreurs de choix politiques et stratégiques face à des situations notablement similaires. Hélas, à l’allure où vont les choses, nous craignons que ce ne soit le cas.  

L’absurdité de l’idée de la « neutralité » de la Force internationale 

Excellence Monsieur le Président de la République,

7 – Depuis quelques semaines, l’idée qu’une force internationale « neutre » qui serait déployée à l’Est de notre pays constituerait l’antidote à la rébellion du « M23 » et des autres groupes armés qui y sont actifs semble faire son chemin. La réunion du « sous-Comité » des ministres de la défense à l’institution duquel vous avez participé à Kampala au début de ce mois s’est tenue à Goma, et a suggéré que cette Force serait composée d’ « au moins quatre mille hommes », que certains pays – dont le nôtre – n’en feraient pas partie, et que sa mise en place prendrait plus ou moins trois mois à compter du prochain sommet de la CIRGL à Kampala.

8 – Comme vous pouvez vous y attendre, c’est une question que nous suivons avec beaucoup d’intérêt, étant donné que si ce qui en résulte est bon, nous en serons les premiers bénéficiaires, tout comme si ce qui en résulte est dommageable, nous en serons les premières victimes. Notre inquiétude réside en plusieurs points, dont les principaux sont les suivants :
-          Que faire de la souveraineté de la République, lorsque, pour résoudre une crise comme celle créée par cette rébellion du « M23 », sur le territoire de la RDC, contre des Congolais, et – prétendument – par des Congolais, le gouvernement semble demander l’avis, l’accord, l’autorisation d’autres pays, dont certains sont les mêmes qui nous agressent ;
-          Pourquoi tendre l’oreille à un pays comme le Rwanda qui, officiellement, soutient mordicus ne pas être impliqué dans l’actuelle rébellion, pour s’entendre dire qu’il ne veut pas d’un tel ou tel pour intervenir dans le conflit de l’Est de la RDC ? Comment un agresseur peut-il persister dans la dénégation et la mauvaise foi, et être accepté en même temps comme un interlocuteur crédible pour trouver une solution à la crise dont il est l’instigateur ?
-          Si le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi sont indignes de contribuer en hommes et en moyens à cette force internationale, pourquoi seraient-ils dignes de participer à sa définition et à son opérationnalisation ? N’est-ce pas là un piège de la CIRGL dans lequel la RDC est entrain de tomber ? 
-          Dix-neuf mille Casques Bleus onusiens sont déployés dans notre pays depuis plus de dix ans, avec pour mandat de contribuer à sa pacification et sa stabilisation. A-t-on besoin d’une autre force internationale qui viendrait s’ajouter à eux, sans aucune chance qu’elle dispose des mêmes moyens d’action matériels, financiers, et même politiques ?
-          Les FARDC sont-elles une force neutre, ou l’armée de la RDC ? Pourquoi alors ceux qui viendraient les soutenir dans leur mission naturelle devraient-ils être neutres ? Officiellement, notre pays n’est en guerre ni contre le Rwanda, ni contre aucun autre Etat. Pourquoi alors cette force internationale devrait-elle être neutre, au lieu d’être une force qui s’engage aux côtés de la RDC, qui prend fait et cause des FARDC, l’armée nationale ? 

9 – Voilà autant de préoccupations que nous avons, et qui nous poussent à penser qu’il y a de la part du gouvernement une certaine complaisance difficilement explicable ; que toutes les démarches en cours au niveau de la CIRGL sont pleines d’hypocrisie et d’incohérence à tel point que la population ne peut rien en attendre de crédible et de durable. Hélas, nous sommes, dans ce jeu de dupes, ceux qui ont le plus à perdre. D’où notre opposition à ce schéma d’une force internationale qui serait « neutre », et qui de surcroît est négociée au sein d’une structure politique régionale où la RDC est réduite à sa plus simple expression, malmenée et humiliée par ses propres agresseurs arrogants et impénitents. Le gouvernement semble tâtonner ou être à court d’inspiration. Chacun de ceux qui le représentent semble agir à sa manière, si bien que les quelques efforts positifs qui sont faits isolément par certaines personnalités sont souvent dilués dans un manque criant de coordination.

Solution alternative

Excellence Monsieur le Président de la République,

10 – Eu égard à tout ce qui précède, nous, organisations de la Société civile de la République Démocratique du Congo, vous exhortons solennellement, devant le peuple congolais, devant la communauté internationale et devant l’histoire : à renoncer purement et simplement au schéma de la CIRGL concernant la « force internationale neutre » à déployer à l’Est de la RDC.

A la place, nous vous suggérons :

-          De mettre ensemble toutes les unités militaires formées par différents partenaires de la RDC et leur doter de moyens matériels et financiers suffisants pour que, avec l’appui des meilleurs des autres soldats et, éventuellement, un appui technique et logistique de pays amis de la RDC, ils puissent préparer et mener l’offensive contre le » M23 », et ensuite contre les autres groupes rebelles locaux ou étrangers qui n’accepteraient pas un appel ultime à déposer les armes et à se rendre ;

-          De persister à demander le renforcement du mandat de la MONUSCO et son application effective afin qu’elle contribue substantiellement au rétablissement rapide de la paix et de la stabilité dans la partie Est de la RDC. 

Autres recommandations

Nous vous exhortons en outre, Excellence Monsieur le Président de la République :

-          A vous abstenir de toute recherche de solution concertée avec le Rwanda tant qu’il ne fait pas montre de sincérité et de bonne foi ; 
-          A faire le ménage à tous les niveaux de commandement de l’armée, de la police et des services d’intelligence de la République, afin d’écarter, même à titre conservatoire, tous les officiers et agents qui ont posé des actes compromettants ou contre qui il existe des indices sérieux d’implication dans des activités de nature à compromettre les intérêts de la nation. Attraire en justice ceux contre qui il existe des preuves de culpabilité ;
-          A prendre des sanctions économiques contre toutes les personnes, civiles ou militaires, liées directement ou indirectement au « M23 » et à tous les autres groupes armés actifs à l’Est de la RDC : saisie de leurs avoirs qui se trouvent sur le territoire de la RDC (biens meubles et immeubles, comptes en banque, …), et inviter les autres Etats où ils ont des avoirs à faire de même ;
-          A commanditer une enquête sur l’éventuelle violation de la constitution, de la loi sur les partis politiques par le Congrès national pour la Défense du Peuple, en tant que parti politique, et en cas de violation avérée, ordonner sa dissolution ;
-          A engager la justice civile et militaire pour que des mandats d’arrêt nationaux et internationaux soient lancés contre toutes les personnes, civiles ou militaires, qui sont liées de prêt ou de loin à la rébellion du « M23 », et dont la plupart résident tranquillement dans les pays limitrophes dont le Rwanda, et exiger leur extradition ;
-          A enjoindre, avec l’aide de la communauté internationale, le Rwanda, l’Ouganda et les autres pays limitrophes de la RDC de surveiller leurs frontières afin que leur territoire ne serve ni de base arrière, ni de lieu de transit, et encore moins de lieu de refuge à ceux qui mènent ou participent à la guerre à l’Est de la RDC ;
-          A mobiliser tous les moyens nécessaires pour venir en aide aux personnes déplacées qui se trouvent actuellement dans une situation précaire, sans attendre passivement l’intervention des « Humanitaires ».

Excellence Monsieur le Président de la République,

13 – L’Est de la RDC a suffisamment souffert des conflits à répétition qu’on lui impose. Le reste du pays en subit à coup sûr les effets, d’une manière ou d’une autre. Les solutions préconisées ci-haut doivent être mises en œuvre en mode d’urgence. Nous pensons qu’en trois mois tout au plus vous aurez pacifié le Nord et le Sud Kivu, ainsi que toute la partie orientale de notre pays. Il vous suffirait d’une bonne volonté, et de beaucoup d’énergie, et nous sommes disposés à vous apporter tout notre soutien. Une fois que la paix aura été ramenée, il faudra songer à la pérenniser en attaquant progressivement les causes profondes de ces conflits et en les éliminant une à une.

En espérant que la présente retiendra votre particulière attention, nous vous prions de bien vouloir agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de notre parfaite considération.  

Les structures et organisations signataires :

1.      Action Contre l’Impunité pour les Droits de l’Homme (ACIDH), Kasaï Oriental
2.      Action contre l’Impunité pour les Droits de l’Homme (ACIDH), Nationale
3.      Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture au Nord-Kivu (ACAT/NK)
4.      Action Sociale pour la Paix et le Développement (ASPD), Nord-Kivu
5.      Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO), nationale ;
6.      Association pour le Développement des initiatives paysannes (ASSODIP), Nord-Kivu
7.      Campagne pour la Paix (CPP), Nord-Kivu
8.      Centre d’Etude Juridique Appliquée (CEJA), Nord-Kivu
9.      Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CREDDHO), Nord-Kivu ;
10.  CIVIS CONGO, Nord-Kivu ;
11.  Collectif des Jeunes Solidaires du Congo-Kinshasa (COJESKI), nationale ; 
12.  CONGO PEACE NETWORK (CPN), Nord-Kivu ;
13.  Coordination de la société civile du Sud-Kivu
14.  Coordination provinciale de la société civile du Nord-Kivu ;
15.  Coordination provinciale de la société civile du Sud-Kivu ;
16.  Fédération des Organisations de Défense des Droits de l’Homme (FODDHO), Nord-Kivu
17.  Groupe d’Associations de Défenses des Droits de l’Homme et de la Paix (GADHOP), Nord-Kivu
18.  Groupe Lotus, Province Orientale
19.  RESCUE-DRC, Nationale 
20.  Réseau d’Initiatives Locales pour un Développement Durable (REID), Nord-Kivu
21.  Réseau National des ONGs des Droits de l’Homme de la République Démocratique du Congo (RENADHOC), nationale ;
22.  Réseau Provincial des Organisations de Droit de l’Homme au Congo/Nord-Kivu (REPRODHOC/NK)
23.  Save Our Souls Africa (SOS Africa), Nord-Kivu
24.  Solidarité pour la Promotion de la Paix sociale (SOPROP), Nord-Kivu ;
25.  Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles (SFVS), nationale 
26.  Voix des Sans Voix pour les Droits de l’Homme (VSV), nationale 
27.  Association des Femmes Avocates du Barreau du Nord-Kivu (AFAB/NK), Nord-Kivu
28.  Barreau de Goma, Nord-Kivu
29.  Association des Jeunes Avocats pour un Leadership Intégral (AJALSI), Nord-Kivu
30.  Association des Volontaires du Congo (ASVOCO), Nord-Kivu
31.  Collectif des Associations Féminines pour le Développement (CAFED), Nord-Kivu
32.  Fondation Point de Vue des Jeunes Africains pour le Développement (FPJAD), Nord-Kivu