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mardi 3 décembre 2013

Première tournée de Joseph Kabila dans l'Est de la RDC depuis la défaite du M23: traduction, résumé et commentaire de son allocution à l'étape de Goma

Allocution de JOSEPH KABILA à Goma. Résumé et traduction.

Par Jean-Mobert N.Senga

Le président Joseph Kabila (au second plan) à l'un des endroits où son convoi s'était embourbé, sur la route nationale n°4 (Kisangani-Bunia) le 22 novembre 2013.

1.       Contexte
Dimanche 1er décembre 2013 - Devant plus ou moins 1500 invités (autorités locales, représentants de communautés ethniques,…sauf quasiment tous les membres des coordinations de la société civile du Nord-Kivu) réunis dans la salle de l’hôtel New Riviera (appartenant à son ministre du travail, Bahati Lukwebo), le président Joseph Kabila s’est exprimé en Swahili pendant près d’une heure. Les quelque 3 mille autres invités qui n’ont pas pu trouver une place ont dû retourner chez eux, après avoir attendu sur des files indiennes, pendant plus de deux heures, à l’extérieur de l’hôtel.

2.       Résumé de l’allocution  
L’allocution de Joseph Kabila peut se résumer en ces quelques phrases :
-          Un président sur la défensive :
Joseph Kabila a affirmé que la guerre qui a éclaté en 2012 l’a surpris, au moment où il pensait que le temps d’entreprendre des actions de développement était arrivé, après une longue période de rébellions). Il a reconnu n’avoir pas réalisé ses promesses électorales (au passage il a fait allusion aux messages des jeunes de la LUCHA qui, lors de son arrivée à Goma, tenaient des pancartes lui rappelant ses promesses non tenues : eau, routes, électricité). Mais à sa défense, il a estimé que la première de ses promesses était la paix ; que la paix était enfin là ; et qu’il allait pouvoir dorénavant se mettre à en réaliser les autres. Il a indiqué que l’effort de guerre avait nécessité la suspension de tous les projets de développements, non seulement au Nord-Kivu, mais partout dans le pays. Enfin, il a expliqué qu’il lui a fallu plus d’une année et demie pour lancer une offensive contre le M23 parce que « la guerre n’est pas un jeu » et qu’il lui fallait : préparer l’armée (la moderniser), changer le commandement des FARDC, mener les fronts politique et diplomatique (pour, a-t-il dit, faire éclater la vérité sur les raisons de ces guerres répétitives aux yeux du monde, et construire la cohésion nationale), et « trouver une stratégie militaire » efficace pour vaincre ladite guerre.
-          Avertissement envers les voisins de la RDC (spécialement le Rwanda et l’Ouganda, sans les nommer) :
« Le Congo a respecte tous ses voisins », a lancé Joseph Kabila. Avant d’ajouter : « J’ai dit que les pays voisins doivent aussi commencer à respecter le Congo et son peuple… Nous n’avons pas l’intention déstabiliser un seul pays voisin ; nous n’avons aucune raison de le faire. Mais nous ne voulons pas que quelque pays voisin que ce soit continue ou s’imagine pouvoir continuer de déstabiliser le Congo. Je sais que vos voisins ici tout près vont réagir. Quand ils réagiront, vous me direz ». Il a affirmé que toutes les guerres qui se mènent au Congo n’ont pas pour but que le pillage des ressources naturelles, mais « visent la balkanisation du Congo ». A ce sujet, il a même dit faire une révélation au sujet d’une délégation occidentale qu’il aurait reçue à Kinshasa en 2002, et qui lui aurait proposé à l’époque une « gestion séparée » des trois parties jadis occupées respectivement par son gouvernement, le RCD et le MLC. « Je leur ai dit : vous pouvez prendre votre proposition et la jeter dans les toilettes », a-t-il scandé, dans un torrent d’applaudissements.

-          Annonce de quelques mesures : 
Joseph Kabila a en outre annoncé qu’avant la fin de l’année en cours, il va changer plusieurs « responsables sur l’ensemble du Nord-Kivu…et dans les autres provinces de l’Est », comme une réponse aux allégations de tracasserie et de corruption dont la population lui a fait part. « Il y en a qui, à force de rester trop longtemps, ont transformé leurs entités en de petites républiques », a-t-il dénoncé en substance. Enfin, il a promis que « la modernisation de l’armée » allait se poursuivre, et que les élections locales et provinciales allaient se avoir lieu « bientôt », exhortant « tout le monde » à se préparer déjà.

-          Reconnaissance envers la population de Goma et du Nord-Kivu
A la fin de son allocution, Joseph Kabila a remercié et félicité la population de Goma et du Nord-Kivu pour avoir « résisté et refusé de se soumettre au joug des autres ». « Bien qu’étant loin à Kinshasa – vous pouvez me croire ou ne pas me croire – mon esprit était à Goma », a-t-il dit. Et d’ajouter : « votre résistance et votre courage nous ont permis de vaincre cette guerre ».

3.       Bref commentaire   
-          C’est un Joseph Kabila étonnamment détendu qui s’est adressé à l’audience du New Riviera, malgré dix jours de voyage sur un millier de kilomètres d’une route en très mauvais état et traversant des milieux à haut risque sécuritaire, de multiples réunions, ... A Goma, il a fait quelque trois kilomètres de marche à pieds.
-          Joseph Kabila a littéralement évité des meetings populaires et les points de presse. A l’exception notable de Rutshuru, où il s’est adressé à la population au stade Mwami Ndeze, il a préféré des réunions en salles closes avec « des représentants de toutes les couches de la population » invités par les soins des autorités locales (le gouverneur et les maires en l’occurrence). Etait-ce faute de temps ou par crainte de s’offrir en proie à des masses dont il n’est pas certain d’avoir reconquis l’âme ? Difficile de savoir. Le fait est qu’à Goma, son arrivée n’a pas suscité beaucoup d’engouement de la part des habitants, à part les quelques centaines de gens mobilisés par les états-majors des partis de la majorité présidentielle (ou « proches ») et d’autres curieux.
-          Le convoi parti de Kisangani, composé d’une centaine de véhicules et de pas moins de 200 personnes (dont les militaires de la garde présidentielle), était aussi impressionnant que coûteux. Ajouté les délégations officielles qui attendaient à Goma. Il aurait certainement été possible de faire cette tournée nécessaire avec plus de parcimonie.
-          Le gouvernement qui a tenu un conseil extraordinaire expédie les affaires courantes. Cela aurait eu plus de sens, à mon avis, si Joseph Kabila s’était déplacé avec le nouveau gouvernement attendu.
-          Aucune grande mesure n’a été annoncée de façon concrète, que ce soit par le président de la République dans ses allocutions que par le Conseil des ministres : les questions essentielles éludées, pas d’échéances, …

4.       Principaux extraits

« La guerre qui a éclaté début 2012 a été une grande surprise pour moi. Parce qu’après tout ce que nous avons accompli depuis 2003, nous pensions que la guerre était terminée, et que nous allions nous focaliser sur le développement, mais une nouvelle guerre a éclaté... »
« La population se demandait pourquoi cette nouvelle guerre, et pourquoi cela prenait beaucoup de temps pour y mettre fin. Le Kivu, c’est une région où règne beaucoup de rumeur, de mensonges et d’intoxication, ce qui produit une situation explosive. Je veux vous dire pourquoi il nous a fallu deux ans pour terminer cette guerre et ce que nous faisons pour qu’elle ne recommence pas… Cela ne dépend pas de nous. Si tout dépendait de nous, nous ne voudrions pas que la guerre survienne un seul jour. Mais nous vivons avec des voisins dont l’intention est peut-être de voir le Congo demeurer dans la guerre, et pour qui le Nord et le Sud-Kivu sont les portes d’entrée dans notre pays. Nous avons mis beaucoup de temps à terminer cette guerre parce que nous nous sommes dits : « cette fois, il faut que nous la menions vaillamment ».  
« J’ai dit nous allions mener la guerre sur trois fronts.
Le front diplomatique : les gens disaient qu’il y a la guerre au Congo à cause du tribalisme, parce qu’une certaine communauté serait victime d’exclusion, ou encore parce qu’il y aurait des problèmes de nationalité. Dans la guerre diplomatique, nous voulions que le monde entier sache la vérité sur qui fait cette guerre, pourquoi il la fait, qui le soutient, … Nous l’avons fait et je pense qu’aujourd’hui la voix du Congo a commencé à être entendue.
Le deuxième front c’est le front politique, que j’appelle le front de la cohésion interne, parce que nous voulions que la guerre qui se menait au Nord-Kivu ne soit pas seulement celle des enfants de Goma, de Rutshuru, mais celle du Congo tout entier, et pour que cela soit possible, il était nécessaire de mettre tous les Congolais ensemble, les amener à regarder dans la même direction et à avoir une même vision. C’était un front important et très difficile, parce que le Congo a de nombreux partis politiques, opposition comme majorité. Certains nous ont accepté de nous soutenir, d’autres ont choisi de ne pas nous soutenir. Mais nous ne nous soucions pas de savoir qui nous a soutenus ou pas. Nous regardons l’objectif que nous voulons atteindre, qui est de galvaniser l’ensemble de la population congolaise en vue de combattre pour la paix au Congo et dans la province du Nord-Kivu.
Je suis heureux de vous dire aujourd’hui que ce front [politique] nous a permis d’amener toute l’opinion nationale ou presque à se ranger derrière nos FARDC, derrière l’objectif que nous poursuivons : ramener la paix, le développement au Nord-Kivu. La deuxième raison qui nous a poussé à mener ce front politique, c’est que lorsque le M23 a été créé par les gens X, des députés – pas tous, mais certains – des députés ont rejoint le M23… Je me suis dit que si un député élu par le peuple peut se réveiller un matin et décider que sa place n’est plus à l’assemblée nationale mais à côté du M23 à Runyoni ou je ne sais où, c’est qu’il y a un problème très sérieux de vision, de patriotisme. C’est cela qui nous a poussé à galvaniser l’opinion…et c’est un grand travail qui nous a pris beaucoup de temps.
Le troisième front, qui était le plus important, c’est le front militaire : je sais que la population de Goma ou de tout le Nord-Kivu était très en leste, mais la guerre n’est pas une blague. Tu ne peux pas juste te réveiller un matin et te dire « je vais faire la guerre ». La guerre se planifie. Et moi je n’ai pas voulu que nous puissions tomber dans les mêmes erreurs que nous avons commises en 2009… J’ai dit « nous allons faire la guerre, mais nous la ferons de manière professionnelle ».  Ca signifie qu’il nous a fallu faire des changements au niveau du commandement de notre armée ; il nous a fallu nous procurer l’équipement militaire ; et il nous a fallu trouver une stratégie militaire pour mener cette guerre…
C’est là qu’il y a souvent une contradiction entre vous, population du Nord-Kivu, et moi-même… La contradiction que nous avons c’est laquelle ? Vous vous imaginez que s’il y a une telle stratégie militaire quelconque, je viendrai vous trouver et vous dire voilà demain nous attaquerons telle personne ! La guerre ne se fait pas comme cela. C’est de cette façon que la guerre se conduisait par le passé, et c’est ce qui nous conduisait aux échecs que nous avons connus. Nous avons mis un temps long, une année et demi, pour pouvoir préparer notre armée – et nous continuons de la préparer.
Parce que, bien que je vous ai dit tout à l’heure que la guerre est finie, ce n’est qu’une étape. Lorsqu’une guerre se termine dans la région des Grands-Lacs, tu commences à te préparer à la guerre suivante parce qu’elle viendra nécessairement. Elle viendra. Quelqu’un dit : « au nom de Jésus !» Ne nous y trompons pas, car il est dit aide-toi et le Ciel t’aidera. Notre façon de nous aider nous-mêmes, c’est continuer à nous préparer nuit et jour. Et c’est pour cela que je demande à la population du Nord-Kivu d’être très vigilante, pour que nous ne soyons pas surpris par une autre guerre. Et je veux que lorsque cette autre guerre va commencer nous soyons prêts, nous soyons debout ; que nous ayons la capacité d’y résister et de la vaincre.
« La guerre nous a pris beaucoup de temps, qu’est-ce qui suit ?
Hier quand je passais j’ai vu des gens qui me rappelaient que j’avais fait des promesses : des routes, tu as dit l’eau, tu as dit l’électricité… Au fond de mon cœur j’ai dit ils oublient la plus grande promesse que j’ai faite au Nord-Kivu. La plus grande et la première promesse que j’ai faite au Nord-Kivu c’était la paix. Et j’ai dit, fin 2011, avant que la paix n’éclate en 2012, que sans la paix nous ne réussirons pas à faire toute autre chose. Et c’est l’exemple que j’ai donné à la population de Butembo comme le gouverneur vient de le rappeler : si une personne a cinq mille francs ; qu’elle se sent malade, et qu’elle sent qu’elle en même temps besoin de chaussures ; elle a le choix entre se procurer les chaussures ou utiliser cet argent pour se procurer le médicament et se soigner. C’est ce dernier choix que moi j’ai fait. C’est-à-dire, nous avons la guerre – ce sont ces maux de tête – ; nous avons des routes à construire, de l’eau à amener – ce sont ces pieds sans chaussure – et nous avons l’argent pour acheter soit un char de combat, soit une niveleuse pour faire les routes à Goma.
J’ai dit à la population de Butembo que jusque là moi je ne regrette rien du choix que j’ai fait, et j’assume. J’assume ce choix qui était de nous procurer l’équipement, de faire la modernisation de l’armée pour que nous puissions vaincre la guerre, ce qui devait nous permettre par la suite de réaliser toutes les promesses que nous avons faites. Moi je tiens toujours mes promesses. Aujourd’hui, prenez bien note, c’est le 1er décembre, et je répète mes promesses : en 2003 j’avais promis la réunification et nous l’avons réalisée, en dépit de toutes les complications....
Je voudrais vous dire, population de Goma, que la réunification n’était pas un jeu. Parce que toute guerre qui se mène au Congo, son objectif n’est pas simplement le pillage et partir ; l’objectif de la guerre c’est toujours la balkanisation de ce pays… En 2003 ou 2002, je recevais une délégation à Kinshasa. Dix ans ont passé, et lorsque tu as gardé un secret pendant dix ans tu es permis de le livrer. Alors – et je l’ai déjà dit à des gens de la société civile qui étaient venus me voir – en 2002, je reçois une délégation venue de l’Europe. Ils arrivent à Kinshasa et ils me disent « Président, tu vois, le gouvernement contrôle la plus grande partie du pays pour le moment ; le pays est divisé en trois parties avec le RCD à l’Est, le MLC au nord ; nous nous venons avec notre proposition que voici, et nous avons déjà pris langue avec les autres qui sont à Goma et à Gbadolité : pourquoi n’accepterais-tu pas qu’il soit établi une gestion séparée de ces parties sur une période de cinq ans, et par la suite vous pouvez vous asseoir et voir comment vous allez faire…» Je leur ai dit : vous pouvez jeter votre proposition dans les toilettes. Alors, l’objectif de la guerre dans le pays, il faut le savoir, ce toujours la balkanisation. Mais aujourd’hui toute la population congolaise s’est levée, et c’est depuis longtemps, et elle refuse la balkanisation de son pays.
La troisième chose, comme je l’ai dit à la population de Rutshuru, après la guerre, nous ne devons pas nous enivrer de victoire. S’enivrer de victoire c’est s’imaginer que la guerre est finie, qu’on est les premiers, … J’ai dit abandonnons l’exclusion ; abandonnons le tribalisme s’il existe. Tous ceux qui sont dans les groupes armés : Mayi-Mayi tel, Mayi-Mayi La Fontaine, Mayi-Mayi Cheka…disons-leur que ce jeu est terminé. Je veux que tous les leaders d’opinions, tous les notables, les députés au niveau national et provincial, fassent de la démobilisation de tous les miliciens leur affaire. Parce que notre population veut la paix, et eux ne peuvent pas triompher de l’Etat… Nous avons pris la décision, cette fois-ci, s’ils ne veulent pas déposer les armes, nous allons les poursuivre partout et nous allons les désarmer […]. Les autres groupes : FDLR, ADF/NALU, à eux le message c’est le même : quitter la forêt, déposer les armes, nous les remettons à la MONUSCO et elle les ramène chez eux. Dans le cas contraire, nous allons les traquer et en finir avec eux.
Voilà le message que je donne à la population. A Rutshuru, j’ai aussi adressé un message à nos voisins. Et c’est vous qui êtes avec eux tous les jours, vous allez leur faire parvenir ce message : j’ai dit que le Congo respecte tous les pays qui l’entourent. Le Congo n’a jamais entrepris de faire une agression dans un autre pays. Parce que nous n’avons ni l’intention, ni le motif, ni l’envie de le faire. Nous voulons vivre dans la paix, et nous avons tout ce dont nous avons besoin chez nous. J’ai dit : nous voulons qu’eux aussi aient ce même respect pour le Congo et son peuple. Parce que la tendance depuis dix ans maintenant c’est un jeu consistant à fabriquer des rébellions. Nous n’avons pas l’intention déstabiliser un seul pays voisin ; nous n’avons aucune raison de le faire. Mais nous ne voulons pas que quelque pays voisin que ce soit continue ou s’imagine pouvoir continuer de déstabiliser le Congo. Je sais que vos voisins ici tout près vont réagir. Quand ils réagiront, vous me transmettrez leur réaction...
« La cinquième chose, ce sont les problèmes qui sont dans la province. La guerre était une bataille, l’autre bataille c’est celle de la lutte contre la pauvreté et le sous-développement… Quand je passais dans le grand-Nord, la population me disait : président notre grand problème ce sont les tracasseries, surtout pour les personnes qui font des déplacements. L’autre problème c’est la corruption ; nous avons un problème avec notre justice. Et moi je leur ai dit la solution que j’ai à très court, peut-être moyen terme, à très court terme je leur ai dit : la plupart des problèmes de tracasserie c’est dû – et cela c’est notre faute – c’est dû au fait que nous avons laissé certains responsables très longtemps en place, à presque tous les niveaux, et ils sont devenus des chefs coutumiers.
« D’autres ont transformé leurs ressorts en de républiques, leurs petites républiques. Pour cela, la solution à très court terme avant la fin de cette année – c’est déjà le mois de décembre – mais avant la fin de cette année nous allons effectuer des changements. Ces changements seront effectués avec objectivité et vont concerner les responsables à tous dans l’ensemble de la province. Et ce n’est pas seulement au Nord-Kivu, c’est un problème que nous avons en Province orientale, au Sud-Kivu...presque toutes les provinces de l’Est de notre pays. Cela nous allons le faire…
« Nous tenons un Conseil de ministres ici…qu’est-ce que nous allons décider ? Nous déciderons deux ou trois choses. La première c’est la consolidation de la paix dans cette province, qui passe elle-même par plusieurs étapes, dont celle de la poursuite de la modernisation de l’armée pour que nous soyons toujours prêts ; celle de la dotation de moyens à l’administration, à la justice pour que les services de l’Etat soient assurés ; celle aussi de trouver les moyens nécessaires pour poursuivre tous les projets que nous avions suspendus. J’ai dit que nous avions suspendu tous les projets pas seulement au Nord-Kivu, mais dans tout le pays – j’insiste pour que nous puissions nous entendre – parce que nous nous disions, notre premier ennemi il faut que nous puissions le vaincre, et si nous y arrivons nous poursuivons avec les projets. C’est chose faite, maintenant nous allons débloquer les moyens et nous allons poursuivre avec tous les projets qui étaient gelés.
« Je sais que c’est devenu un fond de commerce pour beaucoup de gens, surtout les politiciens qui disent voyez ils ont dit qu’ils construiraient ceci, qu’ils feraient cela… Moi quand je promets je réalise. Et si je n’arrive pas à réaliser, je dois venir et dire voilà je n’ai pas pu réaliser telle promesse pour telle raison et telle autre. Et c’est ce que je viens de faire ici. J’avais promis de réaliser un certain nombre de choses, nous avons échoué de le faire, et je vous en ai donné les raisons. Pour cela, je vous prie d’avoir la patience… Bien que comme on dit « Saint Thomas croit seulement ce qu’il voit », je veux que vous puissiez me croire.
« Le dernier point, c’est celui de la démocratie. Après 2003, nous avons pris l’option de la démocratie, pour que la population se choisisse ses dirigeants. Nous avons déjà fait des élections à deux reprises. Certains disent qu’en 2006 elles se sont bien déroulées, en 2011 elles se sont mal déroulées ; pour ma part je pense qu’elles se sont toutes bien déroulées. La démocratie c’est un long processus, et d’autres élections – locales et provinciales – viennent bientôt, que tout le monde se prépare déjà… Le maire sera élu, les bourgmestres seront élus… ainsi après ces élections lorsque je reviendrai ne venez pas me demander pourquoi il n’y a pas tel boulevard : la première personne à qui il faudra vous adresser c’est le maire de la ville, le gouverneur de province.
« Je terminerai par où j’ai commencé : vous présenter ma compassion. Bien que j’étais loin à Kinshasa – vous pouvez me croire ou ne pas me croire – mon cœur battait à Goma. Désolé pour tout ce qui est arrivé ! Je félicite la population du Nord-Kivu, parce que c’est une population qui a résisté ; qui a refusé de se placer sous le joug des…autres. Certains ont prétendu qu’ils sont de Goma, du Nord-Kivu, mais la population n’est pas dupe. Elle a dit : « toi tu es un enfant de Bukavu, de Goma, mais qui est derrière toi ? » Félicitation parce que vous nous avez donné la force de vaincre cette guerre ».

N.B. : L’enregistrement audio original (en Swahili) de l’allocution est disponible sur ce lien : https://docs.google.com/file/d/0B1UXlTEYMzbhT25RR1l0RVlrVVU/edit (première partie) et https://docs.google.com/file/d/0B1UXlTEYMzbhQTVGamJjbGFhUnM/edit (suite et fin).       

mardi 12 novembre 2013

Est de la RD Congo: Ces guerres..."au nom des Tutsis !"

Minova: Des enfants dans un camp spontané pour déplacés internes ayant fui les violences dans le territoire de Masisi. Photo: JMobert.

Par Jean-Mobert N.Senga

1996 : la guerre qui allait emporter le régime trentenaire de Mobutu éclate, quelque part au Sud-Kivu, dans l'est de la République Démocratique du Congo. En première ligne se trouvent les Banyamulenge – ces Tutsis Congolais vivant principalement dans les plateaux de Mulenge au Sud-Kivu et dont la citoyenneté zaïroise était déniée par les caciques du Mouvement populaire de la Révolution, parti-Etat. Ils ont pour principaux alliés, si pas meneurs, d’autres Tutsis – étrangers, ceux-là – les militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise venus de l’autre côté de la rivière Ruzizi, chez le minuscule voisin de la RDC, le Rwanda, où ils venaient fraîchement de renverser le régime du Hutu et ami personnel de Mobutu, le général Juvénal Habyarimana.

Deux ans plus tard, presque jour pour jour, alors que la rébellion de l’AFDL dans laquelle les Banyamulenge et d’autres Tutsis Congolais s’étaient tant investis dirige désormais le pays, avec à sa tête Laurent-Désiré Kabila, une autre rébellion éclate : le Rassemblement Congolais pour la Démocratie. Elle fait suite à l’endurcissement de ton – appelons - le comme cela – par Laurent-Désiré Kabila à l’égard de ses parrains Tutsis (Congolais et Rwandais). Soutenu également par le Rwanda, le RCD occupera jusqu’à la moitié du territoire national et durera jusqu’à la transition politique de 2003. Entretemps, le « traître » Laurent-Désiré Kabila – « traître » aux yeux des Tutsis et du Rwanda ayant substantiellement contribué à le faire installer au pouvoir – aura été assassiné dans des circonstances encore troubles à ce jour. Victime de la revanche des Tutsis qui lui en voulaient de les avoir trahis ? C’est l’une des hypothèses plausibles...

En 2003, à la suite d'âpres négociations entre Kinshasa et ses rébellions, un Tutsi (Munyamulenge) occupera le poste de vice-président pour la première fois dans l'histoire du Congo, en la personne d’Azarias Ruberwa Manywa, tandis que de nombreux autres seront déversés dans l’armée, la police, les services des renseignements et l’administration publique. Pour la première fois aussi, en 2006, un Tutsi – le même Azarias Ruberwa – sera candidat à l’élection présidentielle. Pourtant, à peine le « nouveau président » Joseph Kabila élu, d’autres Tutsis tentent une rébellion : Jules Mutebusi et Laurent Nkunda. Ayant échoué au Sud-Kivu, ce dernier émigre au Nord-Kivu où il crée, quelques mois plus tard, le « Congrès National pour la Défense du Peuple » (CNDP). En réalité, c’est un « Congrès pour la défense des Tutsis » qu’il estime marginalisés, forcés à l’exile au Rwanda et dans d’autres pays, et menacés par les rebelles Hutu rwandais installés au Congo depuis 1994. Au fur et à mesure des péripéties, on ira jusqu’à la création, début 2012, de l'actuel « Mouvement du 23 Mars » (M23) qui occupait encore il y a quelques jours une partie importante du Nord-Kivu.

De Azarias Ruberwa, Bizima Karaha, à Bosco Ntaganda, Sultani Makenga, en passant par Laurent Nkunda, les chefs de guerre Tutsis qui mènent les rébellions en République Démocratique du Congo prétendent lutter pour les droits de leurs frères Tutsis : droit à la nationalité, droit à être considérés dans la vie nationale, droit à retourner au pays pour les exilés, etc. Mais la main du régime Tutsi du Rwanda n’est jamais loin de toutes ces intrigues guerrières, si bien que les Tutsis sont de plus en plus indexés – collectivement, hélas ! – comme étant en grande partie à la base des souffrances endurées par les populations congolaises. L’idée qu’il y aurait un plan d’instaurer un empire Tutsi-Hima dans la région, ou encore d’opérer la partition de l’Est de la RDC à leur faveur a fait long feu. Le président Joseph Kabila, accusé à tort ou à raison d’incompétence est lui-même taxé de Tutsi ou de Rwandais. Mais bien sûr l’exacerbation, parmi les autres Congolais, du ressentiment envers les Tutsis n’est pas l’unique conséquence de ces rébellions menées en leur nom. D’une part, outre les millions de morts depuis 1996, des millions de gens ont dû fuir leurs maisons et leurs villages pour s’installer en lieux relativement plus sûrs au pays ou à l’étranger. La perte des biens, l’abandon de l’école pour des millions d’enfants, le viol massif des femmes, …sont autant d’autres conséquences. D’autre part, la situation des Tutsis Congolais ne s’est guère améliorée; bien au contraire. Des milliers d’entre eux vivent en exile depuis des décennies, et les guerres que l’on mène en leur nom sont loin de leur permettre un retour serein, voir un retour tout court.

Bref, comme le résumait si bien dans une interview Enock Ruberangabo, le lucide président de la communauté Banyamulenge de la RDC, les Tutsis Congolais sont « doublement victimes » des guerres chroniques que connaît la République Démocratique du Congo : comme d’autres Congolais, tout d’abord, ils vivent au quotidien les violences, l’exile et la misère ; et comme Tutsis, ils sont désignés comme étant les coupables, marginalisés, exclus, haïs, honnis par les autres communautés. Or, bien peu parmi les Tutsis ordinaires sont ceux qui trouvent leur compte dans cette folie, dont seuls quelques officiers militaires, hommes d’affaires et politiciens connaissent les tenants et les aboutissants. On en dirait autant, d’ailleurs, pour les autres groupes armés soi-disant communautaires (Hunde, Hutu, Lega, Nyanga, Tembo, Shi, etc.), dont seule une poignée de manipulateurs sont toujours bénéficiaires, et qui n’en embrasent pas moins les communautés tribales et ethniques, en les opposant les unes aux autres.

Alors, ces guerres et ces violences valent-elles vraiment la peine ? A qui profite-t-elles réellement ? Rarement à ceux dont elles portent abusivement le nom, qu’ils s’appellent Tutsi, Hunde, Lega, Hutu, Nyanga, Nande ou Tembo. Le jour où la population aura intériorisé cette réalité, personne ne pourra plus se servir de l’instrumentalisation ethnique pour justifier ou essayer de légitimer les violences. Et heureusement que ce jour est entrain de poindre à l’horizon, puisque de plus en plus de gens réalisent combien on est tous perdants dans la guerre ; combien les guerres qui opposent les uns aux autres ont toujours leur manipulateur, au pays ou à l’étranger, qui en tire parti et qui a intérêt à ce qu’elles perdurent.

Article publié initialement sur le site de Christoph Vogel (le 12 novembre 2013) dans le cadre des essais "Amani Itakuya", sur ce lien : http://christophvogel.net/2013/11/12/amani-itakuya-14-est-de-la-rdc-ces-guerresau-nom-des-tutsis/

samedi 26 octobre 2013

RD Congo - Rwanda : la guerre ouverte est-elle déclarée ?

"Les troupes rwandaises sont prêtes à riposter à l'intérieur de la République démocratique du Congo , si jamais il y a de nouveaux bombardements transfrontaliers sur le sol du Rwanda, a déclaré vendredi à New York l'ambassadeur Richard Gasana, chef de la mission permanente du Rwanda auprès de l'ONU, au sortir d'une audience de briefing avec les autres membres du Conseil de sécurité.

Une véritable déclaration de guerre à la RD Congo, qui accuse pourtant le Rwanda d'être le principal instigateur de la rébellion du M23 à laquelle les Forces armées congolaises sont confrontées depuis avril 2012, et qui occupe un territoire relativement étendu, le long de la frontière commune avec le Rwanda, dans la province du Nord-Kivu. Les allégations du gouvernement de la RDC s'appuient sur le rapport du Groupe d'experts de l'ONU rendu public l'année dernière, ainsi que sur plusieurs autres rapports de l'ONU et des ONG, et ont été expressément confirmées par plusieurs Etats puissants dont les Etats-Unis d'Amérique qui ont d'ailleurs pris des sanctions contre le Rwanda.

Le Rwanda a accusé l'armée congolaise d'avoir tiré trois obus sur son territoire au cours d'une nouvelle flambée de combats avec les rebelles près de la frontière, autour de la localité de Kibumba, à une trentaine de kilomètres au nord de la ville de Goma. «S'ils ne sont pas prêts à arrêter cela, nous agirons immédiatement et ça va faire mal", a dit déclaré à l'Agence France Presse le diplomate rwandais à l'ONU. «Nous le ferons avec la précision du laser , car nous savons d'où les tirs proviennent », a-t-il renchéri.

Le Rwanda est actuellement un membre non permanent du Conseil de sécurité et Gasana a dit qu'il a donné un message clair de son gouvernement aux 14 autres Membres. Le conseil a demandé une enquête sur l'origine des tirs, ont indiqué diplomatiques. Il existe dans la région un "mécanisme conjoint de vérification", mis en place par la Conférence internationale sur la région des Grands-Lacs (CIRGL), et dont fait désormais partie la MONUSCO, qui est chargé de faire des vérifications sur de telles allégations. Sauf que son fonctionnement est sujette à caution...

L'ambassadeur rwandais a conclu : "Nous leur demandons de s'entendre ... et d'amener leurs combats loin de notre frontière. Nous avons déjà prévenu le gouvernement de Kinshasa ". Gasana a déclaré que le Conseil de sécurité avait été «très sympathique » à son message.

Les pourparlers de Kampala entre les rebelles du M23 et le gouvernement de la RDC butent à un nouveau blocage, après leur reprise la semaine dernière. Ils pourraient se poursuivre à partir de dimanche prochain. L'enjeu des combats qui ont resurgi au nord de Goma semble être davantage une pression sur ces pourparlers plutôt que de révéler une quelconque volonté des deux belligérants de régler la crise par les armes.

Article réalisé avec des extraits d'une dépêche de l'AFP. 

RD Congo. FARDC - M23 : ultime guerre ou ultimes enchères ?

Vingt-quatre heures seulement après l’intervention controversée du président Congolais Joseph Kabila devant les deux Chambres du parlement, et alors que les pourparlers de sont de nouveau dans l’impasse, de violents combats ont repris vendredi 25 octobre entre l’armée congolaise et les rebelles du M23.
Carte de la zone autour de Goma & Kibumba.
La ligne en grand trait blanc indique la frontière RDC-Rwanda.
Photo GoogleMap.
(Cliquer dans l'image pour agrandir si besoin)
Les habitants de Kibumba – une bourgade située à une trentaine de kilomètres au nord de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu – ont été réveillés dans la nuit de jeudi à vendredi par les bruits des balles, et ont dû fuir par milliers, les uns vers le Rwanda voisin, les autres vers Kanyaruchinya plus au sud. Les deux parties – Forces armées de la RD Congo (FARDC) et rebelles du M23 – se sont accusés mutuellement d’avoir provoqué la reprise de ces combats qui se sont poursuivis toute la journée de vendredi. Dans la soirée, l’armée congolaise affirmait avoir pris le contrôle de la bourgade de Kibumba et d’autres villages environnants tels que Buhumba et Butebo, ce que démentait la rébellion, qui affirme avoir pu maintenir ses positions initiales.

La brigade d’intervention de l’ONU à l’écart

La brigade d’intervention de l’ONU – la fameuse force de quelque trois mille soldats Tanzaniens, Sud-Africains et Malawites déployée à Goma depuis le milieu de l’année et ayant pour mandat de « neutraliser les groupes armés de l’est de la RDC », dont le M23, n’a pas pris part active aux combats de vendredi. Contrairement au mois d’août dernier où les soldats Tanzaniens de la brigade onusienne avaient épaulé l’armée gouvernementale et contribué à repousser les rebelles d’une dizaine de kilomètres de leurs positions initiales – en y laissant deux morts dont un officier et plusieurs blessés –  la MONUSCO s’est contentée d’un soutien logistique au FARDC ainsi que d’une surveillance aérienne de la zone des combats.

Des obus ont atterri au Rwanda…Kigali hausse le ton

Comme en juillet et août derniers, le Rwanda a accusé l’armée congolaise d’avoir « délibérément » tirés au moins trois obus et plusieurs balles ordinaires sur son sol, sans faire de dégâts, en dehors d’une femme congolaise de 58 ans fuyant les combats côté rwandais qui aurait été blessée par une balle. Sur son compte Twitter (@RwandaMoD), le ministère rwandais de la défense s’est alarmé : « #FARDC targeted innocent civilians in Rwanda, and fleeing Congolese Refugees.58 year old Catheline Gahombo from DRC was injured...(3) ». Ce qui peut se traduire par : « les FARDC ont visé des civils au Rwanda, ainsi que des Congolais fuyant les combats. Catherine Gahombo âgée de 58 ans et originaire de RDC a été blessée ».

Mais le Rwanda n’allait pas en rester là.  Lors d’un briefing au Conseil de sécurité à New-York sur la résurgence des combats près de Goma vendredi, l’ambassadeur du Rwanda Eugène-Richard Gasana a littéralement menacé : « Si un le moindre tir atteint de nouveau notre territoire [le Rwanda, ndlr], nous allons agir immédiatement et ça va faire très mal. Nous le ferons avec précision ; nous savons d’où les tirs proviennent ». Au moment où nous rédigeons ce papier, il n’y a pas encore de réaction côté Congolais.

Ultimes enchères pour forcer un accord à Kampala ?

La question que tout le monde se pose est celle du véritable enjeu de cette résurgence des combats : les FARDC ont-elles (enfin) reçu l’ordre de lancer une offensive de grande envergue contre le M23 pour libérer tout le territoire qu’il occupe ? S’agit-il au contraire d’une provocation orchestrée par les rebelles et visant à accroître la pression sur le gouvernement congolais afin de faire des concessions sur les questions à l’origine de l’échec des pourparlers de Kampala, suspendu le weekend dernier après d’intenses et longues tractations ? C’est la seconde hypothèse qui l’emporte !

En effet, un accord était annoncé à la fin de la semaine dernière entre le M23 et le gouvernement congolais, après la relance des pourparlers à coup de pressions diplomatiques (les quatre Envoyés spéciaux pour la région et la RDC – ONU, Etats-Unis, Union Africaine et Union Européenne) étaient tous à l’œuvre à Kampala. Mais à la dernière minute, les deux parties n’avaient pas réussi à s’entendre, achoppant notamment sur les questions d’amnistie et de réintégration, le gouvernement Congolais refusant d’accorder l’amnistie et de réintégrer les « rebelles récidivistes », les personnes sous le coup de sanctions de l’ONU ainsi que les auteurs présumés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les pourparlers avaient donc été suspendus sine die et l’essentiel de la délégation gouvernementale tout comme les Envoyés spéciaux avaient quitté Kampala.  

Or, il est devenu habituel qu’à chaque fois que les pourparlers sont au point mort les rebelles cherchent un moyen de mettre de la pression sur le gouvernement afin qu’il retourne sur la table et fasse des concessions. Cela s’est passé successivement en janvier, avril, juillet et août de cette année. Plus loin, l’on se souvient que le gouvernement Congolais avait accepté de s’asseoir autour d’une même table avec les rebelles pour négocier à la suite de la pression créée par la chute aux mains du M23 des villes stratégiques de Goma et Sake (novembre 2012).

Par ailleurs, il n’est pas excessif de dire que la proximité du Rwanda facilite bien des choses aux rebelles. En août dernier, les FARDC et la brigade d’intervention avaient dû arrêter leur offensive après que des obus soient tombés dans la ville rwandaise de Gisenyi et à Goma – deux zones intensément peuplées – provoquant une sérieuse escalade entre le Rwanda et la RDC, et un l’embarras de la « Communauté internationale ». Les allégations que des obus auraient été lancés « délibérément » et « par les FARDC » au Rwanda et les menaces qui se sont ensuivies ne sont donc pas fortuites… 

Des sources à la zone de Kibumba frontalière avec le Rwanda n'ont-elles pas indiqué vendredi que les rebelles du M23 ont placé leur artillerie lourde sur les collines de Kabuhanga et Kabuye, sur la frontière avec le Rwanda, et qu’ils s’en servaient pour pilonner les positions de l’armée gouvernementale situées plus à l’ouest. Pratiquement, toute riposte par les FARDC risquait de dépasser sa cible et d’atterrir au Rwanda, ce qui s’est probablement passé. En fin de compte la posture complique l’option militaire pour le gouvernement Congolais, qui n’aurait d’autre choix que de poursuivre les négociations – en position de faiblesse, hélas, la voie militaire étant de facto exclue pour lui au risque d’entrer en guerre ouverte avec le Rwanda (un risque que l’on voit mal Kabila assumer).

La population inquiète plus du manque d’une perspective de guerre que de la guerre elle-même

Un paradoxe est particulièrement frappant dans la situation actuelle au Nord-Kivu : alors que l’on pouvait s’attendre à ce que la population répugne la guerre à cause de ses effets néfastes, c’est tout le contraire qui se constate. A Goma, Nyiragongo, Rutshuru et ailleurs, la plupart des Congolais sont convaincus qu’avec des ordres clairs et des moyens conséquents – avec ou sans l’appui de la brigade de l’ONU – leur armée, FARDC, est capable de défaire militairement le M23 et mettre fin une fois pour toutes à la guerre. Ils ne le croient pas seulement ; c’est le désir. Non pas qu’ils se réjouissent tant que ça de la guerre, mais à cause des mauvaises expériences du passé, où des accords signés avec les rebellions n’ont jamais permis de rétablir durablement la paix et la stabilité, et qu’ils croient que cette fois encore Kampala est un « marché de dupes ». Alors le sentiment général est que ces escarmouches régulières devaient laisser place à une vraie guerre, pourvu qu’elle se fasse une fois pour toutes, définitivement.

Y a-t-il la moindre chance que le gouvernement Congolais soit de cet avis ? Rien n’est moins certain. Le président Joseph Kabila a eu beau déclarer mercredi devant le Congrès que groupes armés devaient déposer les armes et se rendre sous peine d’y être contraints par la force, les Congolais attendent qu’il traduise cela en actes…désespérément.

Par Jean-Mobert N.Senga

dimanche 20 octobre 2013

Parc des Virunga : WWF porte le cas de l'exploration pétrolière par SOCO International devant l'OCDE

Le Fonds Mondial pour la Nature - WWF - a déposé, le 7 octobre 2013, une plainte alléguant que la compagnie pétrolière britannique Soco International PLC ne respecte pas les normes de responsabilité sociale des entreprises internationales.


Cette plainte déposée à l’OCDE démontre que les activités d'exploration pétrolière de la société Soco, dans et aux abords du Parc national des Virunga, violent les directives de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) concernant l’environnement et les droits de l’homme
« Les activités de Soco mettent en danger les populations locales vivant dans le parc des Virunga, ses animaux et leurs habitats. La seule façon pour la société Soco de se mettre en conformité avec les directives de l'OCDE est de mettre fin pour de bon à toute exploration au sein du parc », a déclaré Lasse Gustavsson, Directeur de la Conservation au WWF International. « Nous demandons donc à la société Soco de cesser immédiatement ses activités ».
Les griefs élevés par WWF
1/ Il semble que la société Soco ait eu recours aux forces de sécurité de l'État congolais pour intimider les opposants.
2/ Lors des consultations communautaires, la société Soco n’a pas divulgué des informations vitales relatives aux impacts environnementaux et sanitaires potentiels liés à l‘exploration. De plus, le contrat de l'entreprise contient une clause lui permettant d’être exemptée des futures lois visant à protéger les droits de l'homme et de l'environnement.
3/ L’évaluation d’impact réalisée par la société Soco elle-même révèle que l'exploration pétrolière au sein du parc pourrait entraîner une pollution, endommager les habitats et favoriser le braconnage au sein de cet écosystème fragile. Ces explorations pourraient également nuire à la santé des populations vivant au sein du parc et endommager les ressources naturelles dont dépendent 50.000 personnes.
4/ Le parc national des Virunga, l’un des plus anciens sites du patrimoine mondial d’Afrique, est la zone la plus riche en biodiversité protégée de ce continent. Le Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO soutient que l'exploration pétrolière est incompatible avec la Convention du patrimoine mondial, et a demandé l’annulation de tous les permis pétroliers dans les Virunga.
« En classant le parc des Virunga au patrimoine mondial, le gouvernement de la RDC a pris l’engagement juridique, auprès de la communauté internationale, de préserver le parc pour les générations futures », estime le WWF dans sa plainte déposée auprès de l’OCDE. « Enpénétrant dans le parc pour l'exploration pétrolière, la société Soco a violé les lignes directrices de l'OCDE prônant le respect des lois nationales et des traités internationaux ».
5/ La République Démocratique du Congo, où se situe le parc des Virunga, est une zone active de conflit. L’OCDE et les Nations Unies recommandent que les entreprises opérant sur ces zones à faible gouvernance, veillent particulièrement à ce que leurs activités ne portent pas atteinte aux droits de l’Homme. La société Soco n’a apporté aucune preuve de la mise en œuvre d’un audit préalable à ce sujet.
Selon WWF, les directives de l’OCDE s’appliquent aussi bien aux entreprises multinationales opérant dans ou à partir d’un pays adhérent à l’OCDE. Le Royaume-Uni est un membre fondateur de l’OCDE, créée par les gouvernements en 1961 dans le but de faire avancer le bien-être économique et social dans le monde.
Dans son rapport « Valeur économique du parc des Virunga » le WWF démontre que la valeur du parc des Virunga serait de 1.1 milliards USD par an, s’il était développé de façon durable et pourrait être à l’origine de 45 000 emplois permanents pour les populations qui y vivent.

samedi 19 octobre 2013

La prière quotidienne d'un "Gomatracien"...

Seigneur,
Merci pour cette autre journée qui s'achève enfin. Tu m'as épargné de la folie des motards et des mayibobo, aussi bien que d'une hospitalisation malgré cette poussière toxique qui est devenue notre lot quotidien. Tu m'as surtout béni de ces quelques fretins et de cette mesure de foufou dont moi-même et ma famille venons de nous rassasier. Je te rends grâce Seigneur d'avoir fait que mon bailleur soit retenu par la coupure de la route à Masisi et ne vienne pas m'importuner. Je t'exalte parce que Kambale n'a pas été chassé de l'école aujourd'hui; Chirimwami a vendu assez de cannes à sucre pour notre repas de demain; et Mahoro n'est s'est pas noyée dans le lac en allant puiser de l'eau.  

Oh! Seigneur, pour cette nuit, protège-nous contre les voleurs à mains armées qui ne manqueront pas de visiter notre quartier. Veille sur notre papa qui est encore en route afin qu'il ne croise ni les policiers ni les commandos en patrouille qui pourraient le dépouiller de tout, voire lui ôter la vie. Éloignes de nous, Seigneur, le démon de l'incendie de maison en planches, au Nom puissant de Jésus. Fais en sorte que la guerre n'éclate pas de nouveau cette nuit. Souviens-toi, Dieu de bonté, de ma grand-mère souffrante et sans abris au camp de Mugunga, et aussi de mon oncle enlevé hier par les miliciens au village, ainsi que de ma tante qui se remet péniblement d'un viol collectif.

Seigneur, là où nos dirigeants ont échoué à ramener la paix, tu restes notre seul espoir; là où les hommes les plus puissants sont incapables d'instaurer la justice, tu es notre dernier rempart. Apporte dans notre province et dans notre pays la paix et la justice, et donne-les-nous en partage, pour ta plus grande gloire. Amen !  

lundi 14 octobre 2013

De la paix à vendre (poème)







La paix, sans mentir
J’en ai plein mon tirelire
Assez pour inonder les Grands-Lacs
D’ici la prochaine Pâques

J’en ai d’excellente qualité
Durable et bon marché
Rien avoir avec ces hypothétiques cessez-le-feu
Que peinent à assurer de coûteux Casques Bleus

La paix que je propose n’est pas une contrefaçon
A base d’accords chimériques, d’impunité, non
On n’en vend pas dans les sordides sommets
Les conférences… ces soi-disant foires à paix

La paix que je propose est authentique
Faite à base de gouvernance démocratique
Avec une dose d’équité sociale et de justice
Qui prémunit contre toute allergie et tout vice

A vous Kaguta, Kagame et Kabila
Pour qu’à Kinshasa, Kigali et Kampala
Le peuple martyrisé revive en paix
Voilà l’offre généreuse que je vous fais !

J’ai juste besoin d’une avance de volonté politique
Et de garanties de réformes prolifiques
Inutile de brandir vos chèques de discours et de promesses
On m’a dit qu’ils ne valent pas une once

La société « Communauté internationale »
Le partenaire si puissant, si crucial 
Je veux sa caution maximale, c’est nécessaire
Pour peu qu’elle soit lucide et sincère…

Hâtez-vous, l’investissement en vaut la peine
Avant que les peuples lassés ne se déchaînent
Les armées, les arsenaux – je ne suis pas prêtre 

– Ce sont de bons serviteurs, de mauvais maîtres.

Jean-Mobert N.S., Extrait de "Rimes enrhumés", 2013.

samedi 12 octobre 2013

RD Congo : Des signes que Joseph Kabila pourrait se maintenir au pouvoir au-delà de 2016

L'on soupçonnait le président Joseph Kabila de vouloir faire réviser l'article 220 de la constitution qui, entre autres choses, limite la durée de son mandat à 5 ans renouvelable une seule fois, en vue de pouvoir se représenter aux élections de 2016 pour un troisième mandat, et - pourquoi pas - devenir rééligible à vie. Cependant, à mesure que les jours passent, il semble fort bien qu'une stratégie beaucoup plus subtile soit entrain de se mettre en place : la prolongation pure et simple de l'actuel mandat au-delà de 2016, quitte à mettre tout le monde devant un fait accompli...

Joseph Kabila lors de la clôture officielle des concertations nationales à Kinshasa, le 5/10/2013. Photo: Radio Okapi
Révision constitutionnelle, une idée trop dangereuse pour Joseph Kabila...pour l'instant

La sortie en juin dernier du livre très controversé du Secrétaire général du parti présidentiel, le PPRD, Evariste Boshab, intitulé : "Entre la révision constitutionnelle et l'inanition de la nation", avait soulevé un véritable tollé au sein de la classe politique et de la société civile Congolaise. Assez pour permettre au camp présidentiel de mesurer le danger de l'implosion sociale que présenterait dans l'immédiat l'idée de faire réviser le fameux article 220 de la constitution pour assurer à Joseph Kabila de briguer un troisième mandat. Hostilité d'autant plus prononcée que nombreux sont les Congolais qui peinent encore à admettre la légitimité des institutions actuelles issues des élections de novembre 2011, à quoi s'ajoutent les frustrations causées par la persistance de l'insécurité dans l'est du pays, et les accusations de complaisance, d'incompétence, voire de complicité dont une opinion de plus en plus importante accable le président Joseph Kabila et son régime.

Depuis, les proches de Joseph Kabila ont multiplié les déclarations, expliquant à qui veut les entendre qu'Evariste Boshab n'a fait qu'exprimer une "opinion scientifique et personnelle", et que la question de la révision constitutionnelle n'était pas à l'ordre du jour dans la "Majorité présidentielle". Les participants aux concertations nationales qui se sont achevées le 6 octobre 2013 sont allés dans le même sens de l'apaisement, en indiquant dans leurs recommandations que l'article 220 de la constitution devait être respecté. 

Alors, bonne foi de Joseph Kabila et sa "Majorité présidentielle", ou simple changement de plan ? Les récentes déclarations des personnalités comme le nouveau président controversé de la Commission nationale électorale, l'abbé Apollinaire Malu-Malu, ou encore le président de l'Assemblée nationale Aubin Minaku, ne laissent plus beaucoup de doutes. 

Le recensement général de la population : la bonne parade ?

La règle de la continuité de l'Etat et des institutions est bien connu de tout le monde, même des profanes. Elle peut se résumer en cette phrase : "les animateurs des institutions du pays restent en place jusqu'à l'installation effective de ceux qui sont élus pour les remplacer". Peu importe que l'on respecte ou pas les délais constitutionnels. La règle est posée notamment à l'article 222 de la constitution de la RD Congo. 

Si donc Joseph Kabila devait rester au pouvoir au-delà de 2016 au nom de la continuité de l'Etat, faute d'élections devant désigner son successeur, il serait dans la légalité. La présidence de la République ne serait d'ailleurs pas la première institution à se retrouver dans pareille posture, puisqu'au jour d'aujourd'hui le Sénat, dirigé par le "semi-opposant" Léon Kengo wa-Dondo, de même que les gouverneurs de province et les assemblées provinciales, ont largement dépassé la durée de leur mandat de cinq ans, qui a expiré en 2011. Mais ils restent en place pour la simple (et "bonne") raison que les élections devant pourvoir à leur renouvellement n'ont toujours pas eu lieu. Et pour bénéficier de cette brèche, pas besoin de modifier la constitution; pas besoin de toucher au fameux article 220 de la constitution que les opposants à Joseph Kabila prennent pour leur fétiche-miracle contre son maintien au-delà de 2016. Les pauvres !

Dans un point de presse mercredi 9 octobre 2013 à Kinshasa, la déclaration de l'abbé Malumalu, nouveau président de la CENI, indiquant que les prochaines élections seraient organisées "à l'issue du prochain recensement général de la population" avait intrigué plus d'un observateur. En effet, ce recensement général de la population - le second dans l'histoire du pays, après celui réalisé il y a de cela plus de 29 ans, en 1984 - est censé débuter en 2014 et se terminer avant la fin de 2015. Mais il pourrait bien, pour une raison ou une autre, aller jusqu'en 2016, voire au-delà : problème de financement, difficultés logistiques ou techniques, ou bien, le meilleur de tous, un blocage politique pur et simple pour retarder le recensement..."autant que de besoin". Et Dieu sait que sur ce dernier coup, les politiciens Congolais peuvent être particulièrement brillants. 

"Le jour où on organisera les élections..."

Dans une interview sur RFI vendredi 11 octobre 2013, répondant à la question pourtant explicite du journaliste qui insistait pour savoir si le président Joseph Kabila partirai en 2016, le président PPRD de l'assemblée nationale, Aubin Minaku, a enfoncé le clou en déclarant : 
"Le président de la République partira après les prochaines élections. Parce que selon la constitution congolaise, une institution libère les fonctions quand il y a une autre qui a été élue de façon démocratique. Le jour où on organisera les élections présidentielles dans cette République, et que ce sera gagné par quelqu’un d’autre, celui-là remplacera Kabila".

Aubin Minaku a soigneusement évité le chiffre "2016", lui préférant une formule vague : "...après les prochaines élections". Mais il a surtout pris le soin de rappeler la fameuse règle de la continuité des institutions : "Une institution libère les fonctions quand il y a une autre qui a été élue de façon démocratique". (Juriste de formation, Aubin Minaku a-t-il pu manqué de peser ses mots?). En enfin la phrase assassine : "Le jour où on organisera les élections, et que ce sera gagné par quelqu'un d'autre...". Ça peut être en 2016 ou n'importe quand. Le jour où cela sera possible, ou nécessaire,...

Ce n'est pas excessif de penser qu'il se trame un plan de prolongation du mandat de Joseph Kabila au-delà de 2016. L'annonce qu'il devrait faire la semaine prochaine devant le congrès, en rapport avec les conclusions des concertations nationales, va probablement en révéler un peu plus sur ses véritables intentions. En tout cas, la formule de la prolongation est nettement plus facile et relativement plus "douce" qu'une révision constitutionnelle. Pas besoin de consulter le parlement ni le peuple : juste s'abstenir de faire ce qui rendrait possible l'organisation de la présidentielle en 2016. Il n'en demeure pas moins que le risque de protestations demeure, si jamais ce plan se confirmait. On peut juste espérer que ce ne soit qu'un banal suspense; que les élections se tiendront bel et bien en 2016; qu'elles seront meilleures que celles de 2011; et que Joseph Kabila n'y prendra pas part.

dimanche 6 octobre 2013

Souriez avec moi ! Je suis de retour sur Blogger...

Bonjour à toutes et à tous !

Après près de cinq mois d'absence - mon Blogger s'était bloqué aussi miraculeusement et aussi soudainement qu'il s'est débloqué - je suis heureux de vous retrouver.

Je vous réitère mes excuses pour cette longue et pénible interruption, qui était totalement étrangère à ma volonté.

Je ne puis vous dire combien je suis heureux de retrouver la possibilité d'utiliser ce blog, que votre fidélité et vos remarques bienveillantes ont réussi à me faire aimer tant.

Vous m'avez beaucoup manqué...

A très bientôt, avec un billet de (ré)inauguration !

Bien à vous,
JM

dimanche 28 avril 2013

Nord-Kivu : quand le gouvernement perçoit l'impôt pour le compte de groupes armés !

Les autorités du groupement Muvunyi-Shanga, en territoire de Masisi ont annoncé mardi le 23 avril dernier qu'elles allaient désormais percevoir un impôt en nature qu'elles distribueront ensuite aux groupes armés APCLS et Nyatura présents dans ce groupement. La nouvelle a été annoncée par radio Okapi dans ses éditions de mercredi 24 avril 2013. Le gruopement Muvunyi-Shanga est situé au sud-est du territoire de Masisi, sur le littoral du lac Kivu, jusqu'à la limite avec la province du Sud-Kivu. Il compte quelques-uns des principaux débouchés des produits agricoles de ce territoire (les marchés de Bweremana et de Shasha, qui alimentent la cité de Sake et la ville de Goma en vivres). Ce groupement abrite aussi le chef-lieu de la chefferie des Bahunde, à la tête de laquelle se trouve actuellement le Mwami Nicolas Kibanja Kalinda (qui réside tranquillement à Goma).

Shasha, un jour de marché. Des paysans travesent à gué une rivière pour atteindre le marché. L'avant-dernier point de perception de l'impôt (celui de la Chafferie des Bahunde) se cache derrière ces arbres. Photo : J.Mobert N.


La nouvelle peut surprendre les uns, paraître dérisoire pour les autres. C'est pourtant quelque chose d'extrêmement grave, impossible à imaginer dans un Etat normal. Certes, même sans cette collaboration des autorités gouvernement, les groupes armés sont omniprésents dans le groupement et rançonnent quotidiennement la population dans les collines surplombant le lac Kivu. Mais que des autorités gouvernementales, au lieu d'arrêter des mesures pour mettre durablement fin à cette situation, décident plutôt de contribuer à l'entretenit "autrement", est pour le moins stupéfiant.

La 8ème Région militaire des FARDC a son quartier général dans le coin

Il est vrai que les autorités au niveau du groupement n'ont ni le pouvoir, ni les moyens de mettre fin à l'activisme des groupes armés qui y opèrent. Mais une telle décision a-t-elle pu être prise sans que les autorités au niveau de la chefferie, du territoire, de la province, et le gouvernement central à Kinshasa ne soient infirmées ? Il n'y a eu en effet aucune réaction ni de la part du Mwami, de l'administration du territoire, du gouvernement de province, ... Pire, le quartier général de la 8ème Région militaire des FARDC (commandement du Nord-Kivu) est établi à deux pas de la base de l'APCLS sur l'axe Shasha-Bweremana. La population et les autorités locales se plaignent même de la surmilitarisation de la contrée. Le général Bauma, commandant Région, y réside depuis qu'il avait fui la ville de Goma - je devais dire depuis qu'il avait opéré un "replis stratégique" -  en novembre 2012. Mais sous le nez des FARDC, ce sont les APCLS qui font la loi. 

On attend la Brigade d'intervention ? Ah oui, c'est la recette-miracle qui va tout régler, y compris traquer des bandits armés de kalachnikov qui rançonnent la population et lui privent de ses modestes moyens de subsistance. Ce que les autorités du groupement n'ont pas dit, c'est la manière dont elles comptent gérer les militaires FARDC, qui ne se comportent pas différemment des miliciens, et qui rançonnent eux aussi les habitants. Va-t-il y avoir un troisième impôt en nature pour eux, ou va-t-on les laisser poursuivre le boulot eux-mêmes ? Entre trois et cinq points de perception sont installés à plus de cinq endroits sur les sentiers qui arpentent les collines de Muvunyi-Shanga,  par exemple pour aller de Karuba au marché de Shasha (8 heures de marche à pied). Les Nyatura ont leur point de perception (et leur mesure d'imposition), l'Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS) ont le leur, les FARDC, la PNC, la Chefferie également). Parfois, des bandits non organisés érigent eux aussi leurs points de perception, et les paysans n'ont pas d'autre choix que d'obtempérer, sous peine d'être maltraités. 

Où sont les "amis" de la RDC ? 

Ils ont voté une résolution et se frottent les mains. Trois mille soldats vont venir (quand ?) "neutraliser" les groupes armés et instaurer la paix, l'autorité de l'Etat, et bla-bla-bla... Bon sang, mais quand est-ce qu'on va se mettre à l'évidence que le problème du Congo c'est avant tout la léthargie et l'irresponsabilité des autorités congolaises, depuis la présidence jusqu'aux ministres, parlementaires, gouverneurs, magistrats et autres ? Ceux qui prétendent être des "amis du Congo" pourraient-ils regarder davantage de ce côté là, plutôt que de nous larguer des résolutions qui en définitive ne sont qu'un rideau pudique sur leur propre irresponsabilité et leur lâcheté. Il faut faire pression sur Kinshasa, au besoin couper toute aide autre qu'humanitaire (et encore ?) au Congo jusqu'à ce que des réformes soient entreprises, et des responsabilités minimales, comme dans ce cas celle de l'armée dans le groupement Muvunyi-Shangi, soient exercées. Sans cet effort, la Brigade d'intervention va échouer autant que la MONUC et la MONUSCO. Responsabiliser les autorités congolaises est plus qu'un besoin, c'est une absolue nécessité. C'est aussi une responsabilité pour des pays comme la France, la Belgique, les Etats-Unis, la Canada, ...bref tous ces tenors de la "communauté internationale", pour autant que leur volonté affichée d'aider la RDC comporte quelque degré de sincérité et de cohérence.  

En attendant, une autre preuve est là, si besoin en était, que les groupes armés sont, non pas combattus, mais entretenus.