Translate

dimanche 28 avril 2013

Nord-Kivu : quand le gouvernement perçoit l'impôt pour le compte de groupes armés !

Les autorités du groupement Muvunyi-Shanga, en territoire de Masisi ont annoncé mardi le 23 avril dernier qu'elles allaient désormais percevoir un impôt en nature qu'elles distribueront ensuite aux groupes armés APCLS et Nyatura présents dans ce groupement. La nouvelle a été annoncée par radio Okapi dans ses éditions de mercredi 24 avril 2013. Le gruopement Muvunyi-Shanga est situé au sud-est du territoire de Masisi, sur le littoral du lac Kivu, jusqu'à la limite avec la province du Sud-Kivu. Il compte quelques-uns des principaux débouchés des produits agricoles de ce territoire (les marchés de Bweremana et de Shasha, qui alimentent la cité de Sake et la ville de Goma en vivres). Ce groupement abrite aussi le chef-lieu de la chefferie des Bahunde, à la tête de laquelle se trouve actuellement le Mwami Nicolas Kibanja Kalinda (qui réside tranquillement à Goma).

Shasha, un jour de marché. Des paysans travesent à gué une rivière pour atteindre le marché. L'avant-dernier point de perception de l'impôt (celui de la Chafferie des Bahunde) se cache derrière ces arbres. Photo : J.Mobert N.


La nouvelle peut surprendre les uns, paraître dérisoire pour les autres. C'est pourtant quelque chose d'extrêmement grave, impossible à imaginer dans un Etat normal. Certes, même sans cette collaboration des autorités gouvernement, les groupes armés sont omniprésents dans le groupement et rançonnent quotidiennement la population dans les collines surplombant le lac Kivu. Mais que des autorités gouvernementales, au lieu d'arrêter des mesures pour mettre durablement fin à cette situation, décident plutôt de contribuer à l'entretenit "autrement", est pour le moins stupéfiant.

La 8ème Région militaire des FARDC a son quartier général dans le coin

Il est vrai que les autorités au niveau du groupement n'ont ni le pouvoir, ni les moyens de mettre fin à l'activisme des groupes armés qui y opèrent. Mais une telle décision a-t-elle pu être prise sans que les autorités au niveau de la chefferie, du territoire, de la province, et le gouvernement central à Kinshasa ne soient infirmées ? Il n'y a eu en effet aucune réaction ni de la part du Mwami, de l'administration du territoire, du gouvernement de province, ... Pire, le quartier général de la 8ème Région militaire des FARDC (commandement du Nord-Kivu) est établi à deux pas de la base de l'APCLS sur l'axe Shasha-Bweremana. La population et les autorités locales se plaignent même de la surmilitarisation de la contrée. Le général Bauma, commandant Région, y réside depuis qu'il avait fui la ville de Goma - je devais dire depuis qu'il avait opéré un "replis stratégique" -  en novembre 2012. Mais sous le nez des FARDC, ce sont les APCLS qui font la loi. 

On attend la Brigade d'intervention ? Ah oui, c'est la recette-miracle qui va tout régler, y compris traquer des bandits armés de kalachnikov qui rançonnent la population et lui privent de ses modestes moyens de subsistance. Ce que les autorités du groupement n'ont pas dit, c'est la manière dont elles comptent gérer les militaires FARDC, qui ne se comportent pas différemment des miliciens, et qui rançonnent eux aussi les habitants. Va-t-il y avoir un troisième impôt en nature pour eux, ou va-t-on les laisser poursuivre le boulot eux-mêmes ? Entre trois et cinq points de perception sont installés à plus de cinq endroits sur les sentiers qui arpentent les collines de Muvunyi-Shanga,  par exemple pour aller de Karuba au marché de Shasha (8 heures de marche à pied). Les Nyatura ont leur point de perception (et leur mesure d'imposition), l'Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS) ont le leur, les FARDC, la PNC, la Chefferie également). Parfois, des bandits non organisés érigent eux aussi leurs points de perception, et les paysans n'ont pas d'autre choix que d'obtempérer, sous peine d'être maltraités. 

Où sont les "amis" de la RDC ? 

Ils ont voté une résolution et se frottent les mains. Trois mille soldats vont venir (quand ?) "neutraliser" les groupes armés et instaurer la paix, l'autorité de l'Etat, et bla-bla-bla... Bon sang, mais quand est-ce qu'on va se mettre à l'évidence que le problème du Congo c'est avant tout la léthargie et l'irresponsabilité des autorités congolaises, depuis la présidence jusqu'aux ministres, parlementaires, gouverneurs, magistrats et autres ? Ceux qui prétendent être des "amis du Congo" pourraient-ils regarder davantage de ce côté là, plutôt que de nous larguer des résolutions qui en définitive ne sont qu'un rideau pudique sur leur propre irresponsabilité et leur lâcheté. Il faut faire pression sur Kinshasa, au besoin couper toute aide autre qu'humanitaire (et encore ?) au Congo jusqu'à ce que des réformes soient entreprises, et des responsabilités minimales, comme dans ce cas celle de l'armée dans le groupement Muvunyi-Shangi, soient exercées. Sans cet effort, la Brigade d'intervention va échouer autant que la MONUC et la MONUSCO. Responsabiliser les autorités congolaises est plus qu'un besoin, c'est une absolue nécessité. C'est aussi une responsabilité pour des pays comme la France, la Belgique, les Etats-Unis, la Canada, ...bref tous ces tenors de la "communauté internationale", pour autant que leur volonté affichée d'aider la RDC comporte quelque degré de sincérité et de cohérence.  

En attendant, une autre preuve est là, si besoin en était, que les groupes armés sont, non pas combattus, mais entretenus.

mercredi 3 avril 2013

RDC : Pour que la Brigade d'intervention ne soit pas une tentative vaine, ou la paix une conquête éphémère". Lettre ouverte de la jeunesse congolaise à M. Ban Ki Moon, Secrétaire Général de l'ONU


Depuis le 15 août de l'année dernière, ces jeunes de Goma, au Nord-Kivu, la province la plus meurtrie par les guerres et les violences, avaient écrit et manifesté pour demander le renforcement du mandat de la MONUSCO. Le 11 septembre, devant le Secrétaire-adjoint de l'ONU Hervé Ladsous, de passage à Goma, ils avaient écrit sur leur calicot : "la meilleure manière de nous protéger, nous civils congolais, c'est de nous protéger. La MONUSCO doit y oeuvrer ou s'en aller". 

Le Conseil de sécurité leur a finalement donné raison en votant, jeudi le 28 mars dernier, la résolution 2098 (2013) qui crée une Brigade d'intervention doté du mandat de "neutraliser les groupes armés" dans l'Est de la RDC, et proroge le mandat de la MONUSCO jusqu'au 31 mars 2014. 

Pourtant ils demeurent préoccupés. D'où cette lettre ouverte et leur manifestation devant le Quartier Général de la MONUSCO, ce mercredi 3 avril 2013. 



POUR QUE LA BRIGADE D’INTERVENTION NE SOIT PAS UNE AUTRE INITIATIVE VAINE,
OU LA PAIX UNE CONQUETE EPHEMERE

Lettre ouverte à Monsieur Ban Ki Moon,  Secrétaire Général de l’Organisation des Nations-Unies
New-York, Etats-Unis d’Amérique.


Monsieur le Secrétaire Général,

C’est avec un grand soulagement que nous avons accueilli la nouvelle de la création, par la résolution 2098 du Conseil de sécurité de l’ONU, sur votre recommandation, d’une Brigade d’intervention au sein de la MONUSCO, avec un mandat explicite de « neutraliser tous les groupes armés » actifs dans l’Est de notre pays. C’est depuis le début de l’année dernière, et l’apparition du sinistre M23 que nous avions écrit et manifesté pour demander la transformation du mandat de la MONUSCO afin qu’elle devienne véritablement une force d’imposition de la paix, au lieu de prétendre « maintenir » une paix inexistante.

La création de la Brigade d’intervention nous redonne espoir en l’avènement de la paix dans notre pays et spécialement dans la province du Nord-Kivu, après deux décennies de guerres cycliques et de violences inouïes. Nous nous réjouissons aussi de ce que le Conseil de sécurité ait tenu à rappeler la responsabilité première du gouvernement congolais à assurer la paix et la sécurité du pays, et à défendre son indépendance et sa souveraineté.

Monsieur le Secrétaire Général,

Notre réjouissance est malgré tout emprunte de prudence et d’inquiétude, au regard de certains éléments qui risquent de compromettre, soit la réalisation effective et rapide de la mission d’imposition de la paix assignée à la Brigade d’intervention, soit la pérennité de la paix qu’elle aura pu imposer.

C’est sur ces éléments que nous souhaiterions attirer votre attention, et à travers vous, celle de l’ensemble de la communauté internationale et des autorités congolaises. Notre unique leitmotiv, c’est que nous avons subi les guerres et les violences répétitives dans notre propre chair, et que nous ne voulons ni de trêve, ni de demi-solutions : nous voulons d’une paix véritable, solide et durable pour enfin nous développer et nous épanouir.

Une telle paix ne peut s’accommoder ni de nouvelles primes à des criminels impénitents de quelque bord qu’ils soient ; ni de l’impunité ou des arrangements occultes. Une telle paix ne peut pas non plus s’accommoder d’un voile pudique sur les problèmes réels de gouvernance, d’atteintes à la constitution et à la démocratie, d’injustices sociales, de corruption, de légèreté et d’incompétence que nos dirigeants actuels entretiennent délibérément.


Monsieur le Secrétaire Général,

La République Démocratique du Congo a tout le potentiel pour devenir une grande nation, démocratique, paisible et prospère, et le moment est propice pour tourner définitivement la longue page des guerres répétitives, des violences, et des atteintes à la démocratie. En dépit de leurs lacunes, la résolution 2098 et l’accord-cadre d’Addis-Abeba offrent une chance réelle d’évolution positive dans cette direction.     

Si, au-delà des textes et des déclarations d’intention, la communauté internationale est réellement résolue à contribuer à l’avènement d’une paix véritable et durable, gage du développement de la RD Congo et de l’épanouissement de son peuple – ce dont la sous-région, l’Afrique et le monde ne manqueront pas de tirer meilleur bénéfice qu’actuellement –, nous l’exhortons, à travers vous, à :    

1.        Mettre à la disposition de la Brigade d’intervention, non seulement des moyens financiers et matériels suffisants et adéquats (notamment les drones et les hélicoptères), mais aussi leurs troupes aguerries et possédant avec la RDC plus d’affinités. L’une des raisons de l’échec de la MONUSCO durant la décennie de sa présence nous semble être le manque de motivation suffisante de la part des pays pourvoyeurs de l’essentiel des troupes. Outres les Etats de l’Afrique australe qui ont déjà proposé leurs troupes à la Brigade d’intervention, les pays occidentaux comme les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège, la Suède et le Canada devraient eux aussi mettre à contribution leurs armées plus expérimentées, mieux entraînées et mieux équipées pour plus d’efficacité de la Brigade d’intervention. C’est une question de cohérence et de responsabilité et cohérence de leur engagement politique et diplomatique en RDC et en Afrique des Grands-Lacs.    

2.       S’assurer que la Brigade d’intervention est déployée dans les meilleurs délais, et qu’elle accomplit sa mission le plus rapidement possible : les trente jours annoncés pour l’opérationnalisation de cette Brigade ne devraient pas être dépassés, au risque de permettre aux groupes armés visés d’élaborer des stratégies pour se soustraire à la traque sans disparaître vraiment. Par ailleurs, les dix ans de la MONUSCO, c’est déjà trop. Nous apprécions que dans ce contexte particulier, la communauté internationale nous aide établir les bases d’une paix durable et d’une stabilité certaine, mais cela ne peut en aucun cas justifier une présence et une assistance permanentes. Les actions de la communauté internationale ne seront légitimes que pour autant qu’elles visent à nous aider à prendre nos responsabilités, à nous conduire souverainement en tant que Nation, à atteindre notre résilience. 

3.       Ne pas s’écarter de la résolution 2098 qui vise tous les groupes armés locaux et étrangers : la communauté internationale ne doit pas tomber dans les mêmes errements que ceux de notre gouvernement qui a trop souvent tendance à considérer certains groupes armés comme « plus importants », ou « plus tolérables », ou « plus fréquentables » que d’autres. Tous les groupes armés, y compris le M23, doivent être neutralisés sans condition ni différenciation comme stipulé dans la résolution 2098 (2013). La communauté internationale doit peser de tout son poids pour qu’aucune mesure autre que le désarmement volontaire et sans condition ne soit plus accordée à aucun groupe armé, quel qu’il soit : ni intégration au sein de l’armée nationale, ni accords occultes, ni amnistie collective, ni mutation en groupements politiques des groupes armés comme par le passé.

4.      Maintenir la pression sur les autorités congolaises pour que les réformes que toute la population attend, et qui sont le véritable gage de la cohésion nationale et de la paix durable, soient effectivement entreprises : réforme du secteur de sécurité ; mise en œuvre accélérée de la décentralisation ; réformes électorales ; réforme de la justice et jugement de tous les crimes commis en RDC ces vingt dernières années ; mise en place de toutes les institutions prévues dans la constitution du 18 février 2006 ; réformes électorales et tenue en cette année 2013 des élections provinciales, sénatoriales et locales ; engagement concret dans la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance économique ; réformes économiques et sociales ; etc. Pour ce faire, nous attendons de la communauté internationale qu’elle encourage et soutienne ces réformes. Dans cette optique, pourquoi ne pas réduire les autres effectifs quasi inutiles de la MONUSCO ainsi que leur budget, et engager ces moyens dans le soutien aux réformes prioritaires comme celle du secteur de sécurité ? Nous pensons qu’il est important d’encourager le gouvernement congolais à adopter et rendre public, dans les meilleurs délais, une feuille de route pour la mise en œuvre de toutes ces réformes, avec un chronogramme clair.

Monsieur le Secrétaire Général,

La résolution 2098 est un pas important de la communauté internationale dans l’accompagnement de notre pays vers le recouvrement de la paix et de la stabilité, mais beaucoup reste encore à faire. A commencer par la réalisation effective et rapide de tous les points énumérés dans cette résolution. Nous osons espérer que la mutation opérée dans la façon dont la communauté internationale perçoit la crise dans notre pays permettra une amélioration concrète de la situation. Notre souci est de nous défaire des chaînes qui empêchent depuis tant de décennies notre Nation de prendre son envol. Nous avons besoin, non pas d’une tutelle permanente, mais d’un soutien sincère des autres Nations du monde, pour réaliser ce rêve commun à notre génération.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Secrétaire Général, l’expression de notre considération hautement distinguée.

Fait le 3 avril 2013, à Goma (province du Nord-Kivu).

Pour La LUCHA, les signataires :

1. Fred Bauma Winga                                                                   6.Micheline Mwendike Kamate,
2. Jean-Mobert N. N’senga                                                        7.Luc Nkulula-wa-Mwamba
3.Chantal Faida Mulenga-Byuma                                             8.Fidèle Niyirema
4.François Lukaya N’yombo                                                      9.Claudia Chuma
5.Serge Kambale Sivyavuwa